Pour L'Hérétique, si la Grèce "... fait défaut de paiement, on est foutu. Que se diront les marchés ? Que l'euro n'est pas une monnaie fiable, que l'Europe n'est pas une entité sûre, et donc, que n'importe quel état européen peut faire défaut, désormais."[1]
Mais ça n'a rien à voir, l'euro et la Grèce. La Grèce utilise l'euro comme monnaie, tout comme je l'utilise, ou comme Dexia l'utilise. Que des entreprises, des ménages ou des pays qui utilisent l'euro fassent faillite, ça ne change rien à la monnaie elle-même. Dire qu'un crédit accordé en euros à tel emprunteur, est pourri (subprime), ça ne veut pas dire que la monnaie est non fiable, mais, tout simplement, que l'emprunteur est non fiable.
D'ailleurs, en pleine crise de la dette, l'Allemagne a pu trouver des prêteurs qui lui ont prêté — en euros ! — à des taux d'intérêts réels *négatifs* : autrement dit, ces prêteurs avaient tellement confiance dans sa capacité de remboursement, et dans la valeur future de la monnaie, qu'ils acceptaient de perdre un peu de pouvoir d'achat au passage.
"N'importe quel état européen peut faire défaut, désormais." Evidemment ! N'importe quel État du monde, d'ailleurs. C'est le premier ministre lui-même qui parlait en 2007 de "France en situation de faillite", avec une dette autour 70% du PIB. C'était au premier degré ; si "les marchés" ne sont pas capables de comprendre le premier degré, on ne peut rien pour eux.
Il y a un truc tout simple : depuis que les Etats empruntent à des prêteurs, ces prêteurs demandent un taux d'intérêt… autrement dit, ils considèrent qu'il y a un risque. Risque de non-remboursement, de dévaluation ou d'inflation : les trois reviennent exactement au même pour le prêteur ; chacun des trois signifie : je perds une partie de la valeur de mon argent.
Venir crier aujourd'hui "ouh là là, si la Grèce fait défaut, tout le monde saura qu'il y a un risque", c'est réinventer l'eau glacée.
Dans les camps d'hiver de ma jeunesse scoute, en montagne, le verbe "se baquer" désignait un réveil-toilette express, dans la baignoire constituée par l'abreuvoir du village. Après que le premier réveillé ait cassé la glace.
On va voir les leaders politiques qui auront les c… pour se baquer. Et qui seront les premiers à se réveiller.
Notes
[1] L'hérétique n'est pas le seul à tenir ce discours ! Désolé pour lui si c'est lui qui prend.
J'approuve. Et d'ailleurs, on se demande un peu à quel jeu joue nos politiques: "renflouer" la Grèce pour qu'elle ne soit pas en faillite, donc qu'elle soit en mesure de rembourser ses créanciers et donc les intérêts faramineux (> 10% voire plus), intérêts qui sont - ou plutôt "ont été" - justifiés par le risque de faillite de la Grèce... Donc si on dit dès le départ, "on ne laissera pas la Grèce faire défaut", pour quoi paye-t-on ces intérêts, en fait...
Ah oui, si on ne les paye pas - ou si on ose les renégocier avec les créanciers - alors on a d'office une situation de défaut de paiement...
Mais qui donc profite de tout ça...? Est-ce-qu'il ne vaudrait pas mieux effectivement provoquer ce défaut de paiement, cette faillite de la Grèce pour que les Etats puissent reprendre "enfin" la main sur leurs économies ?
Le problème est que, toutes proportions gardées, les problèmes de l'Espagne, de l'Italie voire de la France sont les mêmes que ceux de la Grèce.
Tous les pays qui, dans le régime de changes fixes qu'est l'euro, ont une inflation supérieure à l'Allemagne (pour des raisons pas toujours mauvaises), voient leur compétitivité décroître année après année : asphyxie lente. Et obligation corrélative de s'endetter.
Comme l'écrit martin Wolf :
Suppose the immediate crisis were indeed overcome, in such ways. Would this promise a sunlit future for the euro? No. Nor, as so many suggest, is some sort of fiscal union the answer. True, if creditworthy members were to transfer resources to the uncreditworthy on a large enough scale, the eurozone might be kept together. But, even if such a policy could be sustained (which is unlikely), it would turn southern Europe into a greater Mezzogiorno. That would be a calamitous outcome of European monetary integration.
The fundamental challenge is not financing, but adjustment. Eurozone policymakers have long insisted that the balance of payments cannot matter inside a currency union. Indeed, it is a quasi-religious belief that only fiscal deficits matter: all other balances within the economy will equilibrate automatically. This is nonsense. By far the best predictor of subsequent difficulties were the pre-crisis external deficits, not the fiscal deficits (see charts).
(http://www.ft.com/intl/cms/s/0/d09c...)
Voir les charts en effet, ils sont parlants.
Donc faire comme si la Grèce était un cas à part relève de la politique de l'autruche : c'est bien l'idée absurde d'imposer à 17 économies disparates un même taux de change qui est désastreuse. Et vouloir compenser cela par une politique budgétaire unique relève de la folie furieuse : cela voudrait dire que comme le mezzogiorno, l'Espagne, l'italie, la grèce et dans une mesure plus faible la France, dépendraient à vie, pour l'équilibre de leur économie, d'allocations budgétaires décidées de façon centralisée.
Vraiment, au nom de quoi tout cela ? Dire que l'euro et l'union étaient censés nous rendre plus forts !
@ DaryanFr : pas mieux !
@ edgar :
"Donc faire comme si la Grèce était un cas à part relève de la politique de l'autruche" : absolument. C'est juste un cas exemplaire. Prétendre qu'elle est totalement à part est le gag grotesque de l'accord du 21 juillet.
"c'est bien l'idée absurde d'imposer à 17 économies disparates un même taux de change qui est désastreuse." : pas du tout d'accord. Une fois de plus, les Etats américains ont le même dollar et s'en portent très bien : même ceux en faillite ne veulent pas changer de monnaie … de même les Etats qui ont le franc CFA ont des économies bien plus hétérogènes que celles de la zone €. Je ne crois pas à cette idée que économie spécifique demande monnaie spécifique. D'ailleurs, à l'époque de l'or, ou en Afrique de l'Ouest celle du cauri, tout le monde avait la même monnaie…
"Et vouloir compenser cela par une politique budgétaire unique relève de la folie furieuse" : certes dans le principe, mais je ne sais pas ce que voudrait dire "politique budgétaire unique".
En l'occurrence, je serais d'accord :
et cela ne ferait pas dépendre les Etats, "à vie, pour l'équilibre de leur économie, d'allocations budgétaires décidées de façon centralisée" : au contraire cela leur rendrait de la liberté de décision en évitant que toute décision sensée puisse être sapée par le dumping fiscal du voisin.
Mais les USA ont un budget fédéral qui fait près de 20% de leur PIB, ce qui permet de compenser les chocs asymétriques comme on dit, et par ailleurs la mobilité y est plus bien forte (ils sont beaucoup plus près d'une zone monétaire optimale en d'autres termes).
Pour les pays africains, je ne connais pas leur situation. Mais on peut penser que le désavantage d'avoir un euro fort est compensé par la crédibilité pour leurs partenaires extérieurs qu'apporte le fait de savoir que leur monnaie est solide car co-gérée par la banque de France.
Oui, pour leurs partenaires extérieurs, pour les salariés, pour les "riches" du pays ainsi incités à investir...
Tout comme nous finalement !
ta pirouette signifie : nous sommes plus crédibles en ayant une monnaie gérée par la BCE qu'en ayant une monnaie nationale ? Alors que la Suisse gère solidement sa monnaie ? Je vois là comme le reflet d'une méfiance des élites de notre pays à l'encontre de leur bon peuple, toujours soupçonné de vouloir faire des bêtises. et du coup la préférence pour un régime absurde et non démocratique plutôt que pour une démocratie française toujours soupçonnée d'être trop conflictuelle. ça va mieux en le disant !
Au risque de passer pour une provocatrice, je vous annonce que, à la manière de l'illusionniste, nos gouvernants vous forcent à regarder la main droite tandis que l'autre vous fait les poches ...
En effet, le triple A est une foutaise dont profitent les moins scrupuleux, au point d'avoir fait entrer dans les principales normes internationales, des critères inappropriés, par connivence ou ignorance de nos chères élites.
Il en existe d'autres, fixés par la banque mondiale (à la différence du FMI, trop "privé") et le parlement européen par un travail acharné tente de revenir à un encadrement intelligent du monde des affaires et des banques. Allez lire les travaux de la commission ECON.
La Chine est inquiète pour son avenir économique parce que comme sous-traitant, elle voit son donneur d'ordre partir en vrille. Ses fonds souverains possèdent de la dette occidentale (USA et Europe) mais pas au point de se prendre pour le Crédit Lyonnais face à Bernard Tapie ... La Chine investie également dans les matières premières en Afrique pour sécuriser ses approvisionnements mais il semble que le bloc de l'ouest se rebiffe, au vue des dernières interventions dans des pays clef, au nom de la Démocratie ...
La France et L'Allemagne disposent du triple A mais les taux d'emprunts sont d'un point d'écart...
La Grèce paie et se fait dépecer par les nationalisations mais tout ne trouve pas preneur (les multinationales font leur marché) tandis que les populations sombrent dans la plus grande dépression (au propre comme au figuré).
Bref, ne relayez pas les mensonges que vous entendez à longueur de temps et que tous les politiques qui se prétendent sérieux et rigoureux nous servent sans rien comprendre à ce qui se passe : la casse des Etats.
@ edgar : je ne partage pas cette interprétation — ou pas plus pour notre démocratie que pour celles d'Afrique de l'Ouest : ce sont plutôt des dictatures qui ont quitté le franc CFA, et des démocraties qui le rejoignent !
Ce qui me semble, c'est plutôt que, dans un monde interconnecté, il faut choisir entre :
Les rois de naguère n'avaient pas la souveraineté monétaire. Certes, ils battaient monnaie ; mais en or ! c'est le poids d'or qui comptait. Ils payaient leurs troupes en or, et s'ils manquaient d'or, il fallait l'emprunter. D'où les nombreuses faillites (8 pour la France d'Ancien Régime…).
Les régimes suivants ont fait circuler une monnaie papier mais dont les banques centrales garantissaient l'"étalon-or". La faillite était remplacée par la dévaluation : je vous devais une tonne d'or ? hop, je ne vous dois plus que 700 kilos.
Depuis que Nixon a abandonné, contraint et forcé par les faits, la parité de l'or avec le dollar, nos monnaies — euro ou nationales, comme le franc suisse ou la livre sterling — ont, par rapport aux monnaies étrangères, la valeur que les étrangers veulent bien lui accorder. Je ne crois pas la Suisse plus forte que nous à cet égard ! Evidemment, si, le monde s'enthousiasmant pour le franc suisse, il s'envole, la Confédération peut en vendre pour faire baisser le prix, jusqu'à la ramener à sa parité antérieure par rapport à l'euro. Mais l'inverse est faux, la baisse du franc suisse depuis la création de l'euro n'était nullement souhaitée par la Confédération, à ma connaissance.
Bien sûr, si nous avions gardé les monnaies nationales, le deutschmark s'envolerait (autour de 1,6 fois sa valeur actuelle d'après les calculs de HSBC, si mon souvenir est bon), et la RFA pourrait en vendre des tonnes pour le faire baisser… mais le franc français s'effondrerait (PS - C'était trop vite écrit. En fait, entre notre énorme déficit commercial et notre énorme richesse foncière, je ne sais pas lequel l'emporterait, faisant sombrer la monnaie ou la faisant s'envoler.), et nous ne pourrions pas le relever. (Car comme le remarque fultrix, la note AAA de la France relève du gag).
La création de l'euro nous a permis de bénéficier de pouvoir d'achat supplémentaire grâce à la "prime" que vaut, sur le marché mondiale, une monnaie de rang international comparable au dollar, une "monnaie de réserve". Le problème est que nos gouvernements ont aussitôt gaspillé cet avantage en en profitant pour se surendetter et asphyxier nos système productifs. Etait-ce une fatalité ? Non : ni l'Europe du Nord, ni l'Europe centrale n'ont joué ainsi la facilité. (Tandis que les Républicains aux Etats-Unis ont abusé et réabusé du privilège du dollar).
Bref, je ne soupçonne pas notre démocratie d'être trop conflictuelle, au contraire : je la soupçonne d'entretenir une sorte de consensus laxiste entre les deux blocs qui se partagent le pouvoir. Tout comme les autres démocraties basées sur le clivage droite-gauche : Espagne (au plan national), Grèce, Italie… Tandis que les démocraties pluripartites ont su maintenir le cap d'un développement plus durable. Avec l'euro…
Bref (encore ! ça devient long), je me méfie d'une "souveraineté monétaire imaginaire". La souveraineté monétaire absolue, celle de la Chine par exemple, consiste à renoncer à commercer internationalement dans sa propre monnaie (monnaie non convertible). Est-ce notre souhait ?
Les pays d'Europe ont intérêt aux échanges internationaux. C'est notre oxygène : nous sommes une zone très peuplée et manquant complètement de ressources naturelles. Et cette situation nous est commune ; je ne vois pas en quoi la France gagnerait, face au reste du monde, avec une stratégie isolée en opposition avec ses voisins européens. Vivre avec une monnaie forte, est-ce vraiment, en soi, plus difficile ou plus mauvais que de vivre avec une monnaie faible ? J'ai rarement vu les habitants de pays à monnaie faible s'en réjouir, bien au contraire.
@ fultrix : je suis ça de fort loin, c'est vrai, mais j'apprécie beaucoup le travail de Sylvie Goulard. Je ne crois pas que les Etats soient menacés de casse, ni que la Grèce soit vraiment sur le point de privatiser quoi que ce soit de sérieux (vous aurez remarqué qu'elle parle sans cesse d'avancer sur ces privatisations, mais debout sur le frein). Quant aux notations des agences, vous aurez noté sur ce blog le peu de cas que j'en fais. Finalement, je me demande quels "mensonges" je serais en train de "relayer" ? J'espère aucun !
Mais la création de l'euro ne nous a pas permis de gagner du pouvoir d'achat. Elle en fait gagner pour ceux qui gardent leur boulot uniquement ! Et comme elle réduit nos recettes au final le pouvoir d'achat dégagé se transforme en dette ! (cf. mon billet de ce jour si tu me permets cette promotion (http://www.lalettrevolee.net/articl...).
Donc personne n'a "gaspillé" cet avantage, la dette n'est que le revers de la médaille qu'est une devise surévaluée. Et personne ne se plaint d'une monnaie forte ce n'est pas vrai. J'ai lu Gallois expliquant que l'euro pour vendre des airbus c'est dur. Et ce n'est pas le seul !
ce qui est dur c'est de vivre avec une monnaie dont le taux de change n'est pas ajustable !
@ edgar : une monnaie forte fait gagner du pouvoir d'achat à tous ceux qui ont un revenu (salaire, allocations chômage, retraite, indemnités journalières, bonus et dividendes, etc.)
Mais elle érode notre compétitivité, encourage les délocalisations, les importations, etc., si bien que ce gain initial de pouvoir d'achat est progressivement gommé par la récession.
Louis Gallois se plaint à juste titre qu'il est plus difficile de vendre des Airbus dont les coûts sont en euros, à des acheteurs en dollars. Mais les automobilistes, qui gagnent leur vie en euros, se réjouissent d'acheter leur essence en dollars !
Enfin je ne crois pas qu'il y ait un intérêt durable pour un pays, à jongler avec sa monnaie. En économie fermée peut-être, en économie ouverte certainement pas. Je pense au contraire qu'une monnaie crédible est utile aux investisseurs — de la personne qui prend un crédit pour acheter une maison, au chômeur qui entreprend une formation en visant un emploi, ou au gouvernement étranger qui cherche à placer ses excédents. Donc à la croissance.
Mais que la monnaie soit crédible suppose une gestion honnête, "en père de famille", de l'économie nationale. Le problème est amha le "pacte d'instabilité" de 2004 (et avant, à vrai dire) : chaque Etat se surendette comme il veut, en espérant qu'un dieu-euro veillera tout seul sur la stabilité de l'ensemble. Ça, ce n'était pas possible… et nous l'avons dit à l'époque
en fait la hausse de l'euro ne fait pas baisser le coût réel du pétrole, car les cours du pétrole et ceux de l'euro sont corrélés. Le FT avait traité ce point il y a quelque temps : http://www.lalettrevolee.net/articl...
je persiste : les montagnes russes c'est pas bien, mais la parité fixe c'est idiot. pour ma part j'ai proposé un mécanisme qui limite les coûts de la flexibilité (pour une taxe de libre-échange) graver quelque chose dans le marbre c'est rarement rusé