Encore un tractage aujourd'hui au bord du lac d'Enghien, et 7 jours avant le scrutin, toujours le même sentiment de calme plat - de désintérêt, parfois un sourire, parfois de l'étonnement - "vous êtes bien courageux !" de militer dans le vent glacial ...

À se demander si les gens écoutent les nouvelles - la Grèce, la Lettonie, l'Islande, et la France "en situation de faillite sur le plan financier" selon son Premier Ministre il y a 30 mois déjà. Avant la crise financière.

Mais je sais bien que les gens voient et écoutent les nouvelles.

Alors pourquoi semblent-ils, si nombreux, se laver les mains de la conduite des affaires publiques ? de la république ? de la démocratie ?

Première hypothèse : ils croient la chose publique perdue. Chacun se débrouille. Il y a la crise à la télé, il y a la crise dans les milliards, il y a la crise ailleurs, mais tant que ça va dans ma rue, dans ma famille, dans mon service, je croise les doigts. Et ils ont raison, en un sens : que les Restos du Coeur annoncent "+5% de bénéficiaires", ça ne constitue pas une explosion sociale. La vie continue. À crédit peut-être, mais elle continue.

Seconde hypothèse : ils voudraient bien que ça change, mais ils voient la classe politique s'en moquer. Alors, à quoi bon s'en faire ? De fait, notre classe politique chante sous la pluie, du FN au NPA et au Front de Gauche en passant par l'UMPS[1]. Ça me rappelle la morale proposée par lord Audley à la fille de Thomas More : il est dangereux d'être lucide si on est le seul.[2].

Tout de même, on est moins seul si on est plus d'un. Depuis des années, quand il parle de "développement durable", François Bayrou associe le sujet de l'environnement et celui de la dette ; pour lui, c'est le même défi pour la démocratie, celui de regarder le long terme, de faire face aux risques au lieu du confort du business as usual.

Aujourd'hui dans l'AFP : "La difficulté de ce que nous allons avoir à vivre, c'est sans exemple depuis la guerre. ... Il faut reconstruire l'emploi, reconstruire l'école, l'équilibre de l'hôpital et de la recherche, reconstruire l'agriculture qui est en déperdition pas seulement économique et financière mais morale, reconstruire l'intégration". Autant de "défis" pour lesquels l'Etat ne dispose d'"aucune marge financière".

Une vérité qui dérange.

Les politiciens dérangés répondent "et alors ? vous n'avez pas de solution miracle !"

Ah ça, non. Quand un ménage, une entreprise, un État se surendette pendant 30 ans de suite, exiger une solution miracle, c'est de la foutaise. Après une génération d'irresponsabilité, il faudra sans doute une génération pour retrouver des fonctionnements durables, pour l'État comme pour l'économie.

Et alors ? Si on commençait aujourd'hui ? Si on commençait à l'échelle de nos régions ?

Un petit pas sûrement, mais ce serait déjà un pas dans la bonne direction.

Notes

[1] PS : Et j'oubliais EE !

[2] "Il y avait un pays dont tous les habitans, sauf quelques sages, étaient fous. Ces sages, prévoyant par leur science qu'il devait tomber une grande pluie qui rendrait fous tous ceux qui en seraient mouillés, se creusèrent des cavernes sous terre, où ils attendirent que la pluie fût passée. Alors ils reparurent au jour, pensant bien qu'ils allaient faire des fous tout ce qu'ils voudraient. Mais ceux-ci les repoussèrent et, s'obstinèrent à se gouverner eux-mêmes. Alors les sages se repentirent, mais trop tard, de ne pas s'être lassé mouiller comme tous les autres."- wikisource