Bernard Bertossa, ancien procureur général de Genève, a sorti un livre et donné une interview à La Tribune. Titre enthousiasmant : "Le secret bancaire suisse va rapidement disparaître". Pourtant je l'aie mise de côté sur mon iPhone, et lue seulement hier soir dans le train. Je voulais en faire un billet" ... et l'actualité m'a devancé : ce matin, "la presse suisse ne donne pas cher des chances de survie du secret bancaire après l'accord entre (la banque) UBS et les autorités américaines". Je fais le billet quand même ;-)

Il me semble en fait que 1) le secret bancaire n'est que blessé, il court encore, 2) c'est un sujet politique encore plus important que Bernard Bertossa ne le suggère.

À quoi sert le secret bancaire, et pourquoi est-ce une tragédie pour nos sociétés ?

Bien sûr, c'est le moyen d'envoyer son argent dans des paradis fiscaux, ou de l'en faire revenir pour s'en servir - donc d'échapper à l'impôt, donc de priver les services publics de moyens. Mais c'est encore plus grave.

En promettant un gain évident (la défiscalisation) moyennant la multiplication d'opérations financières opaques, les paradis fiscaux découragent l'investissement financier dans l'économie réelle et encouragent (ou masquent le risque) des placements douteux, des opérateurs sans scrupules et autres pyramides financières.

Aussi, quand Bernard Bertossa dit que les paradis fiscaux "ont certainement joué (pour la crise) le même rôle de facilitateur que dans les affaires criminelles, mais ... ne sont pas à l'origine de la crise", je crains qu'il ne sous-estime le lien entre pyramide financière, et défiscalisation frauduleuse[1].

Bernard Bertossa le souligne : les États-Unis obtiennent plus de résultats contre le secret bancaire suisse que l'Union européenne, qui s'est jusqu'ici écrasée pour protéger ... ses propres États membres ayant les mêmes pratiques.

Pour moi c'est le même sujet que l'harmonisation fiscale qui manquait dans le projet de Constitution européenne : le libre-échange ne peut être un système sain que dans un espace financier harmonisé. Sinon le détournement, la dissimulation, la déformation des choix économiques deviennent, pour les entreprises, une règle, voire une obligation envers les actionnaires et leurs salariés !...

J'espère que ce sera une des voies de sortie de crise que plébisciteront les électeurs européens en juin prochain, histoire de mettre la pression sur l'ensemble des États d'Europe. J'espère que, dans la ligne des engagements de François Bayrou depuis, au moins, la campagne des européennes de 1999, les candidats aux prochaines élections s'engageront à 100% contre le secret bancaire et les paradis fiscaux.


Surtout, allez lire Bernard Bertossa[2] :

"En France, il n'y a pas de réelle séparation des pouvoirs. ... En matière financière, la France revient quelques décennies en arrière. ... Nicolas Sarkozy partage avec Silvio Berlusconi la volonté politique de contrôler l'activité du parquet.

... La justice britannique ... fait œuvre d'une grande duplicité ...

Si la Suisse a pu préserver son secret bancaire pour les affaires fiscales dans l'accord signé avec l'Union européenne sur la taxation de l'épargne, c'est parce que trois Etats européens, à savoir le Luxembourg, l'Autriche et la Belgique voulaient eux aussi conserver la possibilité d'opposer le secret bancaire aux demandes fiscales ...

Il suffirait que les Etats refusent de reconnaître ces entités (les sociétés domiciliées dans les paradis fiscaux), dès lors, les paradis fiscaux disparaîtraient d'eux-mêmes, car plus personne ne pourrait faire de transactions valables juridiquement avec les entités qu'ils abritent. ...

(La proposition de loi déposée par Barack Obama avec deux autres sénateurs américains sur les paradis fiscaux) est une très bonne initiative. ... Avec cette loi, toute personne physique ou morale faisant remonter des revenus de paradis fiscaux ou effectuant des transactions avec des entités domiciliées dans des paradis fiscaux devra justifier auprès du fisc l'origine des fonds ..."

Notes

[1] Ajout 21 février : Une analyse très détaillée et rigoureuse, signée "Attac France" et datée du 11 février, va dans le même sens que mes craintes. J'en conseille vivement la lecture !

[2] Ajout : Lire aussi le billet d'un frontalier de la Suisse, Antoine Vielliard.