Sur le blog despasperdus, j'écrivais hier : "La gauche a surtout coulé les finances en multipliant les dépenses sans recettes (premières années Mitterrand, 35 heures financées par de la dette…), même si la droite y a contribué (récente modernisation de la force atomique…) ; la droite a surtout coulé les finances en multipliant les réductions de recettes, même si la gauche y a contribué (Laurent Fabius à la fin du gouvernement Jospin…). Ce sont deux orientations bien différentes."

L'auteur, "des pas perdus" répond, un peu à côté mais c'est comme ça : "La gauche dépensière et mauvaise gestionnaire est un mythe ..., un simple examen des données statistiques démontre le contraire."

Étant statisticien, j'ai trouvé le sujet très judicieux !

Je propose d'appeler un gouvernement "dépensier et mauvais gestionnaire" si le solde primaire est négatif ; c'est-à-dire si les dépenses ne sont pas couvertes par les recettes, compte non tenu des recettes et dépenses liées au capital, c'est-à-dire notamment à la dette.[1] J'ai considéré [2] l'agrégat S13 "Compte des administrations publiques", tableau 7.301 de l'INSEE, j'ai pris la capacité d'autofinancement (ligne B9A), ai réintégré la ligne "emplois : revenus de la propriété", D4, qui correspond à peu près à la charge de la dette, et ai déduit la ligne "ressources : revenus de la propriété", D4 aussi. J'ai converti les montants en euros de 2005 en points de PIB[3].

Bien sûr, il faut tenir compte de la croissance : c'est plus facile de faire un budget en excédent primaire quand l'économie va bien. Voici donc la trajectoire des gouvernements successifs de la Vème République : en horizontal (abscisse) le taux de croissance, en vertical (ordonnées) le solde primaire. La légende des couleurs figure dans le dernier tableau en bas du billet. J'ai attribué chaque année au gouvernement qui était en place pendant la majorité de l'année.

trajectoire_solde_croissance_v2.jpg

On voit qu'effectivement, plus le taux de croissance est élevé, meilleur est le solde (droite de tendance en pointillés gris). On pourrait donc mesurer la performance d'un gouvernement, en termes de contribution au surendettement de l'État (en négatif) ou à l'indépendance de l'État (en positif), par l'écart entre chaque point et la droite de tendance (la flèche en bas à gauche du graphique précédent[4]). Ça permet de faire le graphique suivant, nettement plus lisible ;-)[5] :

solde_hors_effet_croissance.jpg

Qu'en pensez-vous ? Je m'attendais à certains résultats comme les bonnes performances des gouvernements Debré et Barre, et la catastrophe actuelle. On voit aussi beaucoup de continuité : les redressements rapides sont rares (De Gaulle en 1958, Barre en 1979, Juppé en 1996), les dégringolades aussi (Debré en 1960 et 1962, qui avait certes "de la marge" ; Messmer en 1973 ; Mauroy en 1982 ; Bérégovoy en 1992 ; et bien sûr Fillon en 2009). Mais je croyais le gouvernement Rocard meilleur gestionnaire, et le gouvernement Chirac de 1974 pire que ce que montre le graphique. Quant au gouvernement Jospin, il se situe remarquablement sur cette comparaison, malgré le poids des 35 heures : il est vrai qu'elles n'ont été réellement instaurées qu'en fin de législature.

Au palmarès, le gouvernement De Gaulle de 1958 l'emporte haut la main, suivi de Jospin et Debré, puis Villepin[6] et Barre. Et il me semble bien difficile de départager gauche et droite.

palmares_gouvernements.jpg

Un statisticien pourrait trouver que la méthode précédente ne tient pas suffisamment compte de l'effet de la croissance. En effet la droite de tendance (pointillés gris) ne fait progresser le solde que de 0,38 point par % de croissance du PIB[7]. Peut-on supposer un impact plus fort ? Il me semble que le maximum est de 1 point de solde par % de croissance : cela signifierait en substance que la totalité de la valeur supplémentaire produite (le point de croissance) sert à renflouer les comptes publics. Cette hypothèse donne le tableau de droite dans le palmarès ci-dessous (et l'effet réel de la croissance sur les comptes est, à mon avis, quelque part entre ces deux hypothèses[8]).

Tous les chiffres sont négatifs, ce qui traduit, me semble-t-il, l'inflation constante de la sphère publique par rapport au reste de l'économie nationale. Le classement ne change pas beaucoup, De Gaulle reste 1er, Jospin, Villepin et Barre en tête de classement…, Balladur, Messmer et la IVème République (1950-57) en queue de peloton… mais on voit remonter en 1ère partie de classement l'actuel gouvernement Fillon ainsi que les gouvernements de la 1ère législature Mitterrand.

Autrement dit, si les finances publiques coulent au cours de ces deux législatures, 1981-1986 et 2007-2010, c'est en premier lieu parce que ces gouvernements n'ont pas su trouver les conditions de la croissance du pays.

Il resterait donc un autre palmarès à faire : celui de la croissance comparée de la France et de l'ensemble de nos voisins de la zone euro, à l'Ouest de l'ancien rideau de fer (ce qui permettrait de faire une série sur longue période). Qui s'y colle ?...

Notes

[1] Une fable court selon laquelle nos budgets sont habituellement équilibrés, hormis cette maudite dette… Raisonnons donc en dépenses et recettes courantes.

[2] Je connais mal la comptabilité nationale : un lecteur pourra rectifier la méthode et je mettrai à jour les graphiques !

[3] En comparant lesSur la base des valeurs du PIB aux prix courants et celles en euros 2005, tableaux 1.101 et 1.102

[4] Graphique corrigé d'une faute de frappe et complété de cette flèche le 18 août 2011.

[5] Ce qui m'a permis d'y ajouter les années 1950-58, également fournies par l'INSEE. La tendance est également recalculée sur toute la période 1950-2010.

[6] Je soupçonnais les résultats de ce gouvernement d'être dopés par la privatisation des autoroutes, mais en principe, elle n'est pas comptée dans le solde tel que je l'ai calculé (?).

[7] Paragraphe modifié le 17 août 2011 à partir d'ici, grâce au commentaire de bernard.

[8] Avec la moyenne des deux hypothèses, le palmarès est : De Gaulle loin devant, puis Jospin, Villepin, Cresson, Raffarin, Debré, Barre. En fin de peloton, Messmer (lanterne rouge), la IVème, Balladur, Chaban, Bérégovoy, Pompidou, Chirac 1.