Un "buzz" venu d'outre-Atlantique en octobre, a soulevé début novembre quelques feuilles sur les trottoirs de Paris : la croissance américaine serait due aux gaz de schiste. Certains de mes interlocuteurs, plus en contact que moi avec les dirigeants de grandes entreprises, me disaient même qu'il était difficile, en ce moment, de leur parler d'autre chose !

Il est certain qu'une baisse des coûts de l'énergie ne peut qu'améliorer la compétitivité - surtout quand aucune comptabilité n'enregistre la perte d'actifs qu'est le départ de ce gaz de notre sous-sol.

Et c'est particulièrement vrai dans l'industrie lourde (chimique notamment, ou cimentière) : les salaires n'y représentent presque rien, c'est l'énergie qui coûte. Je comprends donc bien le point de vue de Jean-Louis Beffa et partage l'essentiel de son propos (l'interview est intéressante aussi pour ses observations techniques).

Bon, mais au total, exploiter le gaz de schiste changerait quoi ?

Mon avis au feeling : l'avantage serait 2 à 3 fois plus grand que celui apporté par la concurrence faite par Free à l'oligopole des télécoms. Autrement dit, la France pourrait y gagner de l'ordre de 0,4 à 1 point maximum de croissance (au total, pas chaque année).

Il y a bien sûr d'autres arguments en faveur de l'exploitation. Rien que la menace d'exploiter les gaz de schiste renforcerait notre indépendance par rapport à la Russie et pourrait tirer vers le bas les prix des importations.

Mais au strict plan économique, qu'est-ce que cela représenterait ? Cela dépend bien sûr des réserves, que je connais mal et qui sont mal connues. Et même si elles étaient connues, il y a du travail pour apprécier l'impact durable d'une ressource énergétique : il faut des modèles économiques plus sophistiqués.

Donc, en les attendant… au feeling :

La France importe 570 TWh de gaz naturel (2011) soit 2 milliards de MMBTu ; et le prix moyen du gaz est d'environ 3 $ par MMBTU actuellement, mais c'est un krach passager, même Total semble le penser (Cf. cet exposé, page 10) qui voit plutôt 5-6 $ à terme[1] ; contre 10-11 $ en Europe.

En admettant, toujours à titre d'ordres de grandeur, que

  1. la production française de gaz de schiste puisse atteindre la productivité nord-américaine ce qui m'étonnerait fort (nous pouvons rarement industrialiser un même procédé sur une grande surface, compte tenu des paysages fragmentés de notre beau pays),
  2. les prix du gaz russe ou autre restent aussi élevés qu'aujourd'hui malgré les pressions à la baisse,
  3. la production française de gaz de schiste soit égale à notre consommation,

…ça ferait 5 $ d'économie par MMBtu soit au total 10 milliards de $, ou 8 milliards d'euros : 0,4 % du PNB.

C'est beaucoup, mais tout juste 4 fois plus que l'impact estimé, 2 milliards, du lancement de Free dans la téléphonie mobile ; dans l'internet, il a dû apporter environ 2 milliards également de baisse des coûts (source : mon estimation au doigt mouillé ;-) : 100 € / an économisés pour 20 millions d'abonnés).

Et aux Etats-Unis ? Le gaz de schiste, dont l'exploitation a commencé à décoller vers 2005, contribue pour environ 100 milliards de $ au PNB (et va vers 230 milliards en 2035 selon les projections IHS), pour un PNB de 14000 milliards, soit 0,7 % (en gros 0,1% de croissance directe par an).

Le président Obama a déclaré attendre du gaz de schiste, à l'horizon 2020, un gain de 600000 emplois (sur 156 millions), soit 0,4% de l'emploi.

Tout ça serait bel et bon, et ça me ferait largement de quoi repeindre mes volets ;-)

mais ça ne remplacera pas la transition vers l'iconomie.

Notes

[1] 4 à 5$ selon Jean-Louis Beffa.