Les états-majors PS et écologistes se querellent de belle façon et ça n'avance pas, pour une raison très simple : ils sont d'accord, mais le reconnaître serait pour eux un désastre, face à leurs électorats respectifs.

Ils savent que le risque 0 n'existe pas, et que le nucléaire est la façon la plus dangereuse de faire bouillir de l'eau — la plus dangereuse, au sens de : celle qui, si elle provoque un accident, en provoque un méga-grand.

Ils savent que pourtant, on ne peut pas couper les centrales nucléaires, en tout cas pas toutes…

Ils savent qu'il n'y a pas DES centrales vénéneuses et d'autres comestibles — que le risque, plus ou moins grand, est toujours là.

Ils savent donc que nous, société française très nucléarisée, économie française, décideurs, citoyens, nous devons apprendre à vivre avec ce risque.

Ce qui est exactement l'inverse des slogans creux, "la France championne du monde de l'excellence nucléaire, au secours du Japon" et autres "la France engagée pour sortir du nucléaire, ce serait bientôt un mauvais souvenir".

Un accident nucléaire majeur, ce n'est ni la fin du monde, ni un risque du passé.

Il faut travailler à réduire ce risque, bien sûr, ET AUSSI apprendre à vivre avec. Le chiffrer, le peser, s'y préparer.


Quelle est la probabilité qu'un accident nucléaire majeur ait lieu en France l'année prochaine ?

Pour des événements rares, la façon la plus simple d'évaluer cette probabilité, c'est de compter combien de fois l'événement s'est produit[1].

3 fusions de coeur[2] en 14000 années de fonctionnement de réacteurs nucléaires, cela fait une probabilité de… 1 accident majeur par réacteur tous les 4700 ans, en moyenne mondiale.

Appliqué à la France et à ses 58 réacteurs, ça donne : 1 accident majeur tous les 81 ans quelque part en France. Ou encore, 1,2% de "chances" qu'il y en ait un en 2012 ; 6% de "chances" sur la durée de la législature.

Je crois que les réacteurs français actuels sont plus sûrs que beaucoup d'autres, grâce à leur conception commune, qui a permis une meilleure capitalisation d'expérience (en comparaison du cas américain, où dans les années 80, chaque centrale était conçue à sa façon par un constructeur ou consortium différent).

Comment chiffrer ce "plus sûr" ? Le nombre de fusions du coeur constaté en France — zéro jusqu'ici — est parfaitement compatible avec une probabilité annuelle de 1,2%. Peut-être les centrales françaises sont-elles, allez, deux fois plus sûres ? Ce serait une différence de qualité tout à fait remarquable, sur un secteur industriel assez concurrentiel à l'échelle mondiale. La probabilité d'accident majeur serait alors de 0,6% par an, ou 3% sur une législature.

Ce raisonnement ne s'applique cependant pas à l'EPR de Flamanville, "tête de série" d'une "nouvelle génération", en tout cas par sa dimension, très supérieure à celle des centrales existantes… et à celle des centrales demandées sur le marché international.

Dans le cas de l'EPR, la logique demande d'anticiper, pour la centrale tête de série, une probabilité d'accident supérieure à la moyenne mondiale.

Combien ?

Et si ce risque se produit (à Flamanville ou ailleurs), quel coût anticiper ? De l'ordre de 2 milliards comme pour Three Miles Island ? De 50, comme pour Fukushima ? De 500, comme pour Tchernobyl ?

Voilà un sujet de négociations entre le PS et les Verts, s'ils veulent parler du nucléaire, et pas seulement montrer pavillon rose ou vert à leur électorat.

Et très concrètement : s'ils s'entendent sur 1% toutes centrales confondues, et 100 milliards, comment provisionner le milliard par an d'assurance ? Auprès de qui ? En en faisant quoi ?

Tiens, c'est peut-être plus facile de sortir les pavillons roses et verts ;-)

Notes

[1] Si l'événement est un peu moins rare, ou si on veut le probabiliser sur une plus longue période, voir le calcul d'Etienne Ghys.

[2] Comptons généreusement Fukushima pour un seul événement, même si 3 réacteurs ont fondu.