Les Echos me font découvrir une proposition de F. Bayrou que je n'avais pas remarquée jusqu'ici :
- Ouvrir aux salariés … les comités des rémunérations des entreprises, avec droit de vote.
Autrement dit, la rémunération des dirigeants doit être un sujet de négociations dans le dialogue social interne de l'entreprise, car elle concerne autant la cohésion de celle-ci, et la justice entre salariés, que l'emploi des fonds des actionnaires.
Certains candidats essayent de définir des normes de l'extérieur : dénonciations des "excès", appel au plafonnement, etc. : mais quel est le juste niveau ? N'est-ce pas à l'entreprise de décider ce qu'elle veut faire de son argent ? Oui mais… qui est l'entreprise ? Comment fait-elle pour "vouloir" sur ce sujet ? C'est cela la vraie question, à laquelle François Bayrou répond : l'entreprise, c'est à la fois les investisseurs et les travailleurs ; les dirigeants ont des comptes à rendre à chacun d'entre eux.
Pour mémoire, la proposition du patronat (code AFEP-MEDEF) va dans le sens inverse en suggérant que les comités de rémunération soient composés "majoritairement d'administrateurs indépendants". Cela veut dire 1) faire échapper le sujet aux personnes qui y ont un intérêt légitime (investisseurs et salariés) ; 2) faciliter l'envolée scandaleuse des rémunérations : car ces "indépendants" dépendent étroitement des réseaux dirigeants du tout-Paris ; ils risquent fort de se comporter en courtiers de place, ayant plus à gagner à la complaisance envers ces dirigeants, qu'à leur mettre la pression en coupant leurs salaires et avantages !
Dans un article que j'avais co-signé dans la revue Sociétal en 2009[1], nous écrivions :
Les principaux dirigeants se sont accordés ces dernières années de fortes hausses de rémunérations, tout en limitant celles des autres cadres et salariés … et cela a désolidarisé cadres intermédiaires et dirigeants.
=> Si les dirigeants veulent retrouver cette solidarité, ils devront accepter que l’échelle des rémunérations dans l’entreprise, la répartition des gains entre catégories de personnel, soit sujette à discussion et à consensus entre ces catégories de personnel.
Entre 1984 et 2006, le salaire des cadres a augmenté de 67%, celui des chefs d’entreprise de 136%.
Cette divergence des rémunérations est une cause essentielle de discorde et de perte de confiance entre « management intermédiaire » et direction générale.
La solution semble aussi simple que le problème : il faut une entente pour qu’en interne, l’échelle des rémunérations soit jugée juste.
Aujourd’hui ce débat passe par l’extérieur de l’entreprise, les médias, le politique.
L’entreprise a tout à gagner à le mener en son sein, par exemple sous forme de négociation organisée, de façon à obtenir une solidarité de ses salariés face à d’éventuelles interrogations de l’extérieur.
Notes
[1] PDF du sommaire.
Concernant la rémunération des dirigeants et la proposition de Bayrou :
je me pose la question des entreprises concernées : si ce sont uniquement les grandes entreprises, alors le vote se transformera en réferendum du pour ou contre le patron en place avec campagne active des syndicats (on peut compter sur eux.) Si ce sont les PME (disons par exemple moins de 250 salariés) : étant dans le bain personnellement, je vois très mal l'application concrète d'une telle mesure.
Bref, je trouve que ça ressemble aux propositions des autres partis (exemple 60.000 profs supplémentaires pour le PS) et que FB dénonce à savoir quelque chose de complètement inapliquable... ou alors il faut revoir complètement la pensée collective et son rapport à l'argent : belle utopie !...
Je fait une contre-proposition (!) : combattre le mal par le mal : proposer des avantages aux entreprises et aux dirigeants qui mettent en place une politique de rémunération équilibrée et raisonnée. Pour cela il faudra bien sûr définir des critères mais ça ne me semble pas irréaliste (progression annuelle par rapport à l'inflation et au résultat de l'entreprise, mise en place de ratios entre plus petit salaire et plus gros salaire...)
@ JBL : il s'agit bien des très grandes entreprises (cotées), dont les dirigeants ne sont pas actionnaires. Et il ne s'agit pas de faire voter tous les salariés sur le bulletin de paye du patron ; il s'agit seulement (mais c'est important) de la composition du "comité des rémunérations".
Aujourd'hui il est composé de quelques administrateurs bons copains sur la place de Paris. Ils ne peuvent pas décemment refuser au patron en place une augmentation au moins égale à celle obtenue par le patron de la tour d'en face. Ainsi se crée une spirale inflationniste délirante et (selon les études économiques dont j'ai pu entendre parler) totalement déconnectée de la valeur ajoutée par le patron à l'entreprise.
Introduire une logique de négociation, avec des interlocuteurs responsables et intéressés au succès durable de l'entreprise (ce qui est le cas des élus syndicaux), me semble la bonne solution pour arriver à une rémunération acceptable et… acceptée !
Ceci dit, ta proposition (§ final), qui correspond en gros à celle de J.L. Mélenchon, me semble très bien aussi. Son côté plus coercitif me semble tout de même risqué, car il est facile pour une entreprise "française" d'aller s'immatriculer aux Pays-Bas ou en Suisse.
Bonjour,
Sur un sujet connexe, Anticor vient (jeudi) d'écrire aux candidats à la présidentielle pour leur demander à s'engager sur des mesures de séparations de pouvoir et de lutte contre la corruption.
C'est là:
http://anticor.org/2012/03/15/antic...
http://anticor.files.wordpress.com/...
Ils ont malheureusement oublié le contrôle des médias et de l'audiovisuel.
On attend la réponse et les remarques de François Bayrou et de son équipe.
Je suis d'accord avec toi Frédéric, c'est une mesure de bon sens et qui va avec la proposition plus générale de François Bayrou d'ouvrir systématiquement les conseils d'administration aux représentants de salariés. Car pour sièger au comité des rémunérations il faut bien sûr être membre du conseil d'administration. Bon bien entendu les représentants dont on parle seront nécessairement minoritaires au CA ou dans les comités, mais évidemment ce sera plus dur d'assumer les rémunérations exorbitantes en face des représentants du personnel.
J'observe d'ailleurs que dans certaines entreprises publiques ou semi publiques (comme SNCF, Aéroports de Paris, DCNS...) où siègent déjà en vertu de la loi des représentants du personnel au CA, on s'est bien gardé de solliciter ces mêmes représentants pour les comités de rémunération !
@ XS, Mesina : merci pour ces infos. C'est bien le blog avec des commentateurs qui apportent des billes