Des couleurs comme des goûts, on peut difficilement discuter. Pourtant, au premier contact, au premier abord, à première vue, la couleur frappe.

Lundi dernier, une habitante d'une petite ville de l'Ouest me disait sa difficulté à supporter d'y être la seule Noire - le sentiment qu'en permanence tout le monde vous regarde. Elle avait passé 10 ans à New York, et Saint-****-de-l'-Océan, ça n'a rien à voir.

Je crois avoir senti ce même poids quand j'étais, dans la rue ou dans la foule, le seul Blanc. Une sensation oppressante.

Elle répond en riant que ce n'est pas du tout pareil - elle l'illustre par une anecdote mille fois racontée, un mème.

Un jour, un touriste blanc était pris d'un besoin pressant, mais ne trouvait pas de toilettes. Il s'est caché dans un coin et a fait ses besoins dans un mouchoir, il l'a attaché et laissé là. Les enfants du quartier, voyant le Blanc partir, y sont allés, ils ont trouvé le mouchoir, chacun voulait l'avoir, ils se sont même battus !

... Donc tu vois, chez nous le Blanc est considéré très haut ! Tandis qu'ici, quand tu es la seule Noire, ça veut dire que tu es la dernière des derniers.


La même semaine, j'ai lu dans L'Étrangeté française de Philippe d'Iribarne, chapitre "Quelle place pour les immigrés ?", une autre figure imposée de la conversation entre habitants de France venus d'Afrique, un autre mème.

Une mère d'une "cité"[1] ... se plaint : "... on nous a enlevé l'autorité. À six ans, à l'école, on apprend aux gamins que si les parents les frappent, ils peuvent appeler un numéro vert ... Des pères se font traîner en justice pour de simples gifles. Les parents n'osent ensuite plus rien faire."


Les deux histoires sont certainement fausses, bien sûr. Il n'empêche : elles cristallisent, concentrent, une représentation de la société, dans laquelle ce que nous faisons prend sens. Quel argumentaire hypothético-déductif aurait la force de ces lieux communs ?

Notes

[1] Guillemets dans le texte. La citation elle même est reprise de "Libération, 11 novembre 2005".