Commentaire sur le billet de Bruno Ben Moubamba, qui compare Côte d'Ivoire et Bélarus, et s'étonne du peu de réactions internationales aux évènements de Minsk.

C'est une bonne occasion de rappeler le dicton "Comparaison n'est pas raison".

Il y a de nombreuses dictatures dans le monde. Beaucoup d'entre elles organisent des élections, et déclarent les avoir gagnées. Et très souvent, c'est vrai : leur pouvoir est si bien établi que peu de gens prennent le risque de voter contre, et surtout, aucune campagne, aucun débat démocratique n'aura permis de faire émerger une alternative majoritaire.

Parfois, malgré le pouvoir en place, une alternative se constitue et obtient la majorité - mais en est spoliée par le pouvoir sortant. On ne le sait pas toujours, du fait du contrôle des médias par le pouvoir en place, mais on l'a su dans certains cas : victoire du FIS en Algérie, victoire de la LND en Birmanie.

Il y a enfin de très nombreux pays où l'activité démocratique réelle (presse permettant d'exprimer des opinions différentes, multipartisme...) ne conduit cependant pas à la constitution d'une coalition majoritaire contre le pouvoir en place. Que l'opposition soit divisée, hétérogène, achetée, sans moyens... les électeurs constatent que seule l'équipe en place tient la route, et préfèrent la reconduire plutôt que de voter pour des candidats souvent sympathiques mais jugés incapables de gouverner.

Dans de telles situations, quelles sont les responsabilités des autres Etats ? de l'ONU ("communauté internationale") ? des simples citoyens démocrates ? Elle ne sont pas si simples à définir. Responsabilité morale ? Indirecte ? Optionnelle ? On aurait le droit de faire quelque chose pour les démocrates des pays concernés, mais on n'en aurait pas le devoir ?

Aujourd'hui l'ingérence n'est consacrée que face à des risques "humanitaires". Elle ne permet pas de faire tomber une dictature, même si celle-ci procède à des élections sur mesure ou proclame des résultats électoraux artificiels.

J'ignore dans lequel de ces trois cas se trouve la Bélarus ; j'ignore en tout cas qui a gagné, numériquement, l'élection, si ce n'est le Président sortant.

En revanche, nous savons tous que la Côte d'Ivoire ne se trouve dans aucun de ces 3 cas, mais dans un 4ème, sans doute nouveau dans l'Histoire. Celui d'une élection dans laquelle :

  • les partis en présence, dont le pouvoir en place, ont accepté un contrôle international ;
  • élection dont le vainqueur (quasi-évident dès le départ, de par les alliances ethniques et partisanes - ce qui explique pourquoi le pouvoir en place a retardé l'échéance pendant 5 ans) est incontestable et incontesté - sinon par un abus évident du droit national[1] ;
  • élection dont le représentant de l'ONU a certifié le résultat, conformément à sa mission.

Et pourtant, l'élection est sans suite : le sortant s'accroche à son poste, et fait parler la poudre pour empêcher le gouvernement du président élu, de sortir du réduit où le protègent les Casques bleus.

La responsabilité de la communauté internationale n'est pas optionnelle, pas indirecte, pas morale. La crédibilité même de son engagement pour la démocratie est en jeu. Le mandat qu'elle a reçu des institutions ivoiriennes, la communauté internationale doit le mener en terme en faisant respecter le résultat du vote ivoirien - y compris si quelques Ivoiriens, perdants de l'élection, choisissent maintenant de s'y opposer.

Il ne suffira pas de sanctions contre les personnes. Il ne suffira pas de maintenir les Casques bleus en place. Il faudra au minimum couper les finances de ce groupe de traîtres à la démocratie - et si cela ne suffit pas, les chasser par la force. Le tout en maintenant la paix civile.

Trop difficile ? Fallait pas y aller, alors.

Facile à dire ? C'est vrai.

Le Conseil de sécurité avait annoncé (par exemple ici) : "le Représentant spécial du Secrétaire général en Côte d’Ivoire certifiera que toutes les étapes du processus électoral fournissent toutes les garanties nécessaires pour la tenue d’élections présidentielles et législatives ouvertes, libres, justes et transparentes, conformément aux normes internationales et (réaffirmé) son plein appui au Représentant spécial du Secrétaire général en Côte d’Ivoire dans son rôle de certification".

Mais il n'avait pas précisé explicitement que "élections ouvertes, libres, justes et transparentes, conformément aux normes internationales" sous-entend que… le vainqueur de l'élection, accède effectivement aux fonctions pour lesquelles il a été élu.

Il va falloir créer de la jurisprudence.

Notes

[1] Les pro-Gbagbo se présentent comme défenseurs de la "souveraineté" ivorienne et rappellent que leur candidat a été proclamé président par le Conseil Constitutionnel, dont la décision est sans appel ; ce qui est juridiquement fondé. L'argument a hélas trois grosses lacunes. 1) Le Conseil Constitutionnel n'avait pas le droit d'annuler une partie des élections, mais seulement de faire revoter. Or ni le Conseil constitutionnel, ni le Président sortant, n'ont proposé de revoter dans les départements "annulés". Ils connaissent d'avance le résultat, il suffit de regarder ceux du 1er tour. 2) En démocratie, aucune institution n'est légitime si elle va manifestement à l'encontre de sa mission : cela s'appelle haute trahison, ou forfaiture. La décision du Conseil Constitutionnel revient à nier le droit de vote des Ivoiriens de plusieurs départements. C'est incompatible avec un droit démocratique. 3) Le président sortant et les institutions avaient accepté de placer cette élection sous la supervision des Nations Unions et de leur représentant, chargé de certifier les résultats. Il est grotesque de sortir maintenant l'argument de la "souveraineté", une fois connus des résultats défavorables !