J'ai passé quelques heures bloqué sur l'A1 ce mardi soir à hauteur de Bapeaume. Juste le temps de constater un "dommage collatéral" de la com' d'entreprise, ou politique : elle ignore les personnes concernées.

Tout d'abord, mon cas personnel : dans l'agglomération lilloise mardi après-midi avec ma femme, je tenais à rentrer le jour même car je devais aller chez un client à Lyon ce mercredi matin. J'ai donc tenté ma chance :

  • D'abord sur l'A1 où j'ai été rapidement bloqué par le barrage mis en place à la barrière de péage (Fresnes) ;
  • J'ai alors pris la première sortie pour rejoindre l'A16 à Amiens, puisqu'elle roulait bien d'Amiens à Paris selon la radio.
  • La nuit est tombée alors que j'étais entre Lens et Arras, j'ai pu arriver à 30 km d'Amiens (à Doullens). Là, des gendarmes m'ont indiqué que la section restante de la N25 était interdite, et qu'il me fallait faire demi-tour jusqu'à Arras, pour soit y trouver un hôtel, soit reprendre… l'A1, qui était rouverte à la circulation.
  • Retour à Arras, et après quelques détours, j'ai pu rentrer sur l'A1, y prendre de l'essence[1], et être bloqué, avec quelques hoquets, de 21h environ à 2h30 du matin environ. Pendant ce temps, bulletin sur bulletin de 107.7 nous indique que la situation, "difficile", est en train de se résoudre : la circulation reprend, prudence, attention à votre vitesse, vous pouvez croiser les saleuses qui remontent à contresens… Ces indications sont valables pour les voitures dans les deux sens. Or aucune voiture ne roule dans l'autre sens. Ce qui laisse penser que c'est peut-être le cas dans notre sens aussi ;-) Les indications de trafic sur la carte de l'iPhone montrent environ 70 km de bouchon au total sur l'A1 et l'A2 à hauteur de la Somme — l'endroit où nous sommes bloqués est le tout début du bouchon. La radio indique aussi que l'on peut être hébergé dans des salles de Roye et de Péronne (côté fin du bouchon) : je me demande comment on est sensé y aller, depuis l'autoroute.

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  • Arrivent des gendarmes à pied ; ils nous font faire demi-tour sur la chaussée, pour sortir à Bapeaume : l'A1, disent-ils, est fermée et ne rouvrira pas mercredi matin ; à Bapeaume, on nous indiquera d'autres trajets possibles. Il y a bien à Bapeaume une autre route vers Amiens (par Albert) qui, en recoupant les indications des gendarmes présents à Bapeaume, n'était pas fermée mais "très impraticable". Nous avons rejoint un parking et le gymnase de Bapeaume où les pompiers organisaient un hébergement d'urgence pour 400 personnes environ.

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  • Le jour levé, nous prenons la route d'Albert mais, arrivés à quelques km, des habitants nous indiquent que la route est bloquée par des camions qui se sont accrochés, et nous conseillent de retourner à Bapeaume. Là-bas, café-croissant au bar : selon les conversations, l'autre route vers le Sud (par Péronne) est plus bloquée encore.
  • 2 heures plus tard, nous retentons notre chance vers Albert, où nous arrivons ; des gendarmes à l'entrée d'Albert nous disent que la route vers Amiens n'est pas interdite mais très difficile, "à nos risques et périls". Nous arrivons à Amiens, prenons l'A16 parfaitement entretenue et dégagée et arrivons à destination vers 13h. Pendant tout ce temps, les différentes radios d'autoroute et locale tiennent à peu près le même discours : c'est difficile, mais tout se débouche et la solidarité c'est formidable.

Bilan personnel :

  • tout va bien, ni égratignure ni rayure ; une journée de travail perdue n'a rien de tragique ;
  • si la route était difficile, c'est moi qui ai pris le risque ;
  • les gendarmes et pompiers ont été d'un calme, d'une efficacité et d'une serviabilité remarquables ;
  • j'ai été sorti de l'ornière par d'autres automobilistes une fois (avant ma 2ème entrée sur l'A1, m'étant sottement garé sur un bas-côté) et ai aidé deux ou trois autres automobilistes à sortir de l'ornière, c'est honnête ;
  • j'avais pris assez de précautions (eau, pommes ;-) , essence, téléphone et chargeur) pour ne pas m'inquiéter ;
  • en quelques heures de blocage avec d'excellents bouquins, je n'ai même pas eu le temps de m'ennuyer ;
  • j'ai révisé avec profit ma conduite sur neige sans chaînes (n'en ayant pas dans la voiture).

Maintenant, les questions !

  • Pourquoi l'A1 était-elle dans un état pareil, stations-service non déblayées etc., alors que l'A16, au moins au Sud d'Amiens, était nickel ? A priori, l'A16 a été encore plus frappée par la neige et le vent que l'A1, étant plus proche des côtes. Le chiffre d'affaires de l'A1 (Sanef) doit être bien 4 ou 8 fois supérieur à celui de l'A16 (Sanef aussi), ça doit donner quelques moyens ?
  • Plus important : si les poids lourds étaient interdits de circuler (et j'ai bien vu des gendarmes les bloquer à plusieurs endroits) comment étaient-ils aussi nombreux sur l'autoroute ? À une entrée de péage, un poids lourd me semble assez facile à distinguer d'une voiture, non ?
  • Si des milliers de voitures ont été bloquées sur l'autoroute loin de tout hébergement possible — et certaines le sont encore ce mercredi après-midi, après plus de 36 heures sur place, selon les médias, dans le sens province Paris — pourquoi l'avoir ignoré ?

À quoi bon cette com' débile en trois temps creux, "la météo est vilaine, vous êtes formidables, tout s'arrange", reprise à l'unisson par 107.7 (Sanef), par le Ministre des Transports, par les médias nationaux, s'il faut 36 heures pour envoyer des hélicos afin de simplement regarder — "évaluer" — s'il y a des gens en carafe et combien ?

Est-ce que ça n'aurait pas été la première des urgences, de regarder QUI est concerné, pris dans la nasse, le froid, la soif ou la faim ? AVANT de s'autocongratuler sur l'héroïque effort ?

J'imagine que cette com' creuse a ses raisons :

  • peut-être des raisons contractuelles — reconnaître la situation serait déjà reconnaître des responsabilités ?
  • sans doute une logique de gestion psychologique de crise — endormir l'auditeur pour éviter qu'il ne panique et fasse des bêtises ?

Mais cette com' me semble surtout avoir auto-intoxiqué la société autoroutière et ses partenaires. "L’ensemble des personnels en charge du service hivernal est sur le terrain", selon la SANEF, et "l’ensemble du matériel de déneigement est également déployé" : autrement dit, tout en reconnaissant la situation comme historiquement exceptionnelle, ils ont fait les autruches et essayé de gérer avec leurs seuls moyens propres, sans renforts.

À mon avis, il y avait autour de 10000 personnes bloquées sur l'A1 et l'A2 (en incluant les 2000 hébergées à Roye, Bapeaume, Péronne, ou ailleurs…)[2]. Tous les chiffres que j'ai entendus et lus étaient des sous-estimations ou des comptages partiels souvent incohérents[3]. Que ce soit 2500 voitures ou 10000 personnes, qui peut répondre à une situation pareille sans moyens exceptionnels ?

Et à quoi bon dire de circuler avec prudence, en contrôlant sa vitesse, à des gens bloqués depuis 24 heures ?

Aux dernières nouvelles, "trois blocages dus à des poids-lourds en travers et à des congères subsistent, emprisonnant de nombreux routiers et automobilistes. Des employés de la Sanef interviennent à la pelle pour dégager les camions un par un".


Je sais bien que c'est difficile de réagir rapidement, efficacement, à une situation inattendue. De s'organiser, de partager l'information, de hiérarchiser les priorités…

Mais c'est à ça que devraient aider les techniques de gestion de crise. Si elles servent plutôt à noyer le poisson (ou à surgeler le contribuable), alors il faut changer soit les techniques, soit les gestionnaires, soit les deux.

Tiens ! La radio 107.7 recommandait de regarder le site sanef.com. Et ça tombe bien ! le site sanef.com diffuse 107.7 et invite à l'écouter.

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Notes

[1] Même si la seule sortie de la station-service était l'entrée !

[2] Les médias parlaient de 2500 voitures ce mercredi en fin de matinée, alors que seul l'axe A1 Paris vers Lille restait bloqué ; au plus fort de la nuit les segments d'autoroute bloqués étaient à peu près 4 fois plus longs, selon mon souvenir d'iPhone

[3] Par exemple, confondre le nombre de personnes hébergées avec celui des personnes… non hébergées.