J'ai des filles aux scouts.

Ce samedi après-midi, c'était la "montée" dans la catégorie d'âge supérieure, dans le pré qui sépare l'église du quartier, du campement de nomades du quartier. Le joyeux rassemblement - je le regarde, un peu en retrait.

Un homme arrive, l'air de ne pas très bien savoir où il est, peut-être un parent de scout qui arrive trop en avance pour reprendre sa progéniture, peut-être un voisin gêné par le bruit ?

Il me dit bonjour, ou peut-être est-ce moi le premier en marmonnant, et après un instant il me demande : est-ce qu'on peut entrer dans l'église ? Je voudrais aller prier dans l'église.

- Je ne sais pas, Monsieur. Elle était ouverte tout à l'heure, elle sera ouverte tout à l'heure pour la messe...

Il insiste : je ne veux pas vous déranger, je voudrais juste dire une prière dans l'église...

- Ici ce sont les parents des scouts, il faudrait voir avec quelqu'un de la paroisse...

Je vois bien, répond-il, c'est très bien les jeunes, mais qu'est-ce qu'on peut faire ? Je voudrais aller prier dans l'église. Je suis d'Argenteuil, j'ai fait mon baptême ici, ma communion, j'habite rue de ***...

- Ah, on est voisins alors ! (enfin, c'est le quartier).

Je voudrais dire une prière dans l'église, c'est pour un ami...

- Vous savez, on peut prier partout !

C'est pour un ami, il est malade, il a une tumeur au cerveau... Vous pouvez pas savoir...

L'homme est ému, au bord de pleurer.

Quelle que soit la raison, le mieux est de l'accompagner vers l'église plutôt que de rester là avec les jeunes.

- On peut aller voir à la porte de la paroisse à quelle heure elle est ouverte. Je vous accompagne.

Nous arrivons à la porte de l'église, elle est bien fermée. On entend de la musique, peut-être la répétition de la messe du samedi soir. Nous faisons le tour de l'église vers la porte du local paroissial contigu. L'homme parle sans cesse : mon ami a une tumeur au cerveau, je veux dire une prière pour lui...

Je ne regarde pas l'affichette des horaires mais vois la poignée, la porte est ouverte. Nous entrons.

- Je vous laisse ici une seconde, je vais voir si on peut entrer.

Je le laisse effectivement dans l'entrée, je vais jusqu'à la porte intérieure qui donne dans l'église : elle est pratiquement vide. Je retourne chercher l'homme dans l'entrée. Il me suit dans l'église. Dans le choeur, un des musiciens qui se préparent me connaît, il me salue. L'homme qui me suit s'arrête devant l'autel, devant l'icône du Christ posée sur l'estrade : je veux prier, me dit-il.

Il se jette presque sur l'estrade, il se prosterne en pleurant...

Il se relève en me remerciant : c'est très gentil,...

Je me demande s'il convient de lui proposer de dire une prière, un Notre Père ? Peut-être pas en fait.

Je fais un signe de croix, il m'imite, nous sortons. Je dis : que le Seigneur vous entende.

Dans la rue il reprend, toujours en larmes : C'est mon ami, il a 52 ans, il a une tumeur au cerveau, on lui a fait une ablation, j'ai promis à sa femme de dire une prière pour lui.

Il me remercie, je fais des réponses à la con, je dis courage, je prends sa main, il s'en va, je retourne avec le groupe des scouts.

Ils sont toujours en train d'affronter des "défis" qui leur sont lancés par la classe d'âge au-dessus, foncer avec un ballon dans le groupe des plus âgés, se faire secouer dans un tunnel en toile...

Des défis de quelques secondes, qu'on peut affronter sans un gramme de bière. Rien, par rapport à mettre les pieds dans une église pour la première fois en un demi-siècle.

Si comme ce monsieur et comme moi, vous avez été au catéchisme, ça vous rappelle peut-être une histoire d'il y a deux mille ans :

Deux hommes montèrent au temple pour prier ; l'un était pharisien, l'autre publicain (les collecteurs d'impôts, réputés corrompus). Debout, le pharisien priait en lui-même : Je te remercie, mon Dieu, de ne pas être comme le reste des hommes, rapaces, malhonnêtes, adultères, ni même comme le publicain que voilà ; je jeûne deux fois la semaine ; je paie la dîme de tous mes revenus. Le publicain, lui, restant à distance, n'osait même pas lever les yeux au ciel ; il se frappait la poitrine en disant : O Dieu, aie pitié du pécheur que je suis !