L'actualité nous offre une petite piqûre de rappel sur la vulnérabilité des géants.
La flotte d'avions à réaction est quasi-clouée au sol par de fines et invisibles poussières, émises par une banale éruption du volcan Eyjafjöll (source image).
Les données confidentielles de centaines de millions de personnes, dont les coordonnées personnelles de combattants de la liberté dans des dictatures, ont été exposées par la distraction ou l'erreur d'appréciation d'un seul employé :
Selon le « New York Times », les pirates auraient pu pénétrer le système d'identifiants Gaia, qui permet aux utilisateurs d'accéder à tous les services Google (Gmail, Agenda, Docs) gérés par un même mot de passe. A l'origine de l'attaque : la négligence d'un employé de Google, qui aurait cliqué sur un lien envoyé par l'un des pirates sur Windows Live Messenger, ouvrant ainsi l'accès à son ordinateur et à celui d'un groupe de développeurs de la société.
C'est pas nouveau tout ça, "c'est la rançon du progrès" disaient nos grands-parents si par hasard ils entendaient parler d'Ivan Illich.
Le progrès a continué depuis Illich. Avec le transistor miniaturisé et les méga-ordinateurs, la productique, les porte-conteneurs géants stabilisés dynamiquement, internet et… les avions à réaction, il n'y a plus aucun obstacle pour qu'un unique lieu de production alimente la terre entière sur un produit donné. De la même façon un seul marché financier, une seule actualité télé, un seul sujet gérable à la fois pour la "communauté internationale". La pensée unique n'est pas une aberration, c'est le fruit du système technique où nous vivons.
Les grands courants politiques aujourd'hui au pouvoir - gauche socialiste et jadis communiste, droite d'affaires ou étatique - ont construit avec enthousiasme, et intérêt, ce système fondé sur le gigantisme - vous savez, les "champions nationaux" de "dimension mondiale". Le super-super-gros-porteur A380. La plus grande machin du monde. Le concours de kikalaplugrosse propre aux hommes de pouvoir a été partagé, via les écrans de télé, par la population entière.
L'alternative (je sais, je vous bassine, moi aussi), c'est la démocratie.
Il n'y a pas que la méga-performance d'un jour. Il y a aussi la robustesse, la durabilité, l'adaptation. Le progrès doit, devrait aussi nous permettre de cultiver ces valeurs-là. Ce sont elles qui mettent les systèmes (techniques, médiatiques, politiques) à la portée de chacun d'entre nous.
Est-ce une réflexion abstraite, ou très pratique ? Quelques exemples sur ce blog :
- Limiter les banques.
- Finance et crise : tout s'éclaire (pour moi)
- La crise financière comme crise de l'informatisation (extraits de Michel Volle)
- Qu'est-ce que le principe de précaution ?
- Nouvelle croissance : moins de comm, plus de connaissance.
- Libérer la croissance (sur le rapport Attali).
- Pour la taxe Tobin.
- Faire que la mondialisation marche (Stiglitz) - voir surtout la fin du billet.
- Finance et planète : difficile de réguler des mondes…
- Quand une saine alliance vire au cauchemar : Technocratie vs démocratie
- Pour un internet démocratique (EGENI 2007)
- Les tests nous protègent, qu'ils disent (surtout le dernier billet, sur AZF).
Democracy : if "small is beautiful", then the 4,2% MoDem poll result is absolutely gorgeous !!!
Certain democrats want to be done great, like frog compared to ox of La Fontaine. It is pathetic. Isn't this Christian?
J'ai une question: A ton avis, est-ce que le "monopole radical" d'Ivan Ilich peut s'appliquer à autre chose qu'un nouveau moyen technique mis sur le marché? Ca pourrait s'appliquer à une nouvelle pratique? Par exemple à la pression exercée par les supermarchés face aux "petits commerces"? (j'avais été très marqué d'apprendre que le général De Gaulle ait donné son plein soutien à Leclerc pour développer ses grandes surfaces.)
@ Ch. Malpart
I'm afraid so, indeed...
@ GuillaumeD : je ne connais pas bien la notion - je connais Illich essentiellement par l'intermédiaire de Jean-Marie Domenach, que je ne me souviens pas avoir entendu utiliser ce terme.
Il me semble que le "monopole radical" vient, non pas exactement de l'innovation comme Illich me semble le penser, mais de la supériorité économique, à court ou moyen terme, de la production centralisée sur la production décentralisée. Au XIXème siècle, la possibilité de produire des biens avec des énergies concentrées (atelier mécanisé par la machine à vapeur, chemin de fer) a permis une première vague de centralisation. À partir de 1974, le transistor, et les systèmes automatisés à l'échelle mondiale qu'il a permis de construire (productique, ERP) ont permis la 2ème vague = la mondialisation actuelle (Michel Volle).
Ceci dit, l'exemple des grandes surfaces irait dans un sens différent. Ce qui permet la grande surface commerciale, c'est la voiture individuelle. Dans un premier temps (je me souviens d'un des premiers Mammouth, en Languedoc…), la grande surface élargit l'espace de liberté individuelle : je peux acheter où je veux et pas seulement près de chez moi ; un petit trajet auto me donne accès à des milliers de produits différents, pas seulement aux cinq rayons de l'épicier de mon quartier. Le raisonnement me semble coincer quand on passe de la taille "super", qui existe un peu partout dans le monde, à la taille "hyper", quasi-spécialité française : moins nombreux (donc moins de choix de destination pour moi client, donc moins de concurrence, donc prix plus élevés), consommateurs d'espace (incasables dans le tissu urbain), n'apportant me semble-t-il que peu de liberté supplémentaire (sinon entre dix boîtes identiques ou similaires côte à côte), quand ça ne permet pas d'embrouiller le consommateur. Bon, c'est une préférence personnelle, mais j'étais fan des "Ed" de première génération…
Merci, vraiment, de ta réponse si complète.
Sans m'être posé exactement les mêmes questions que toi à ce sujet, je suis d'accord, c'est de passer de "super" à hyper" qui est le principal changement "structurel".