Je vois fleurir sur Facebook (surtout) foule de messages qualifiant le FN de parti "fasciste" ou "nazi". J'ai tweeté que pour qualifier ainsi le FN, "il faut sans doute ne pas avoir de proches qui votent FN. Vivre dans une microbulle."

Cela m'a valu, sur Facebook, quelques dizaines de commentaires surtout réprobateurs, m'affirmant, de façon parfois argumentée, que je perdais le sens commun.

Mais pourquoi, au fond, cette routine de qualifier le FN de fasciste ou nazi ? Alors que historiquement et idéologiquement, c'est, pour le moins, douteux ?

Il me semble que c'est une façon de s'autoriser à le disqualifier à bon compte, sans autre forme de procès. Une façon de se dispenser de réfléchir, au profit d'un jugement moral.

Le diagnostic ainsi imposé conduit à considérer les électeurs, les militants, les élus etc., du FN, comme appartenant obligatoirement à l'une des trois catégories suivantes : a. naïfs trompés ; b. cyniques absolus ; c. fascistes et nazis.

Ce qui est factuellement faux ; vérifiez autour de vous, si vous en connaissez : certains au FN sont peut-être dans l'une ou l'autre de ces catégories, mais pas tous, et, à mon avis, pas la majorité.

La méthode est d'ailleurs biaisée, car, si des indices similaires conduisaient toujours à la même condamnation, pas mal de partis seraient disqualifiés de la même façon.

Or le FN est, de façon très claire historiquement et idéologiquement, un parti nationaliste. Ce qui est moralement accepté dans les sociétés européennes : notre continent compte un certain nombre de partis nationalistes. Il y en a même dans des régions françaises — des régions que leurs partisans considèrent comme des nations. Bien sûr, la morale de la "Corrèze plutôt que le Zambèze" choque certaines personnes, soit de culture religieuse, soit internationalistes athées, ou de quelques autres courants. Mais globalement ça passe.

Or le nationalisme est le chemin assuré de la fracturation sociale et de la ruine économique, en tout cas pour une société comme la nôtre.

Emmanuel Macron emploie d'ailleurs ce qualificatif de "nationaliste" pour désigner le FN, et là-dessus au moins je suis d'accord avec lui. Mais nous sommes peu suivis !

Comment se fait-il que la "droite républicaine", la "gauche", l'intelligentsia en général, ne prennent pas le FN sous cet angle idéologique ?

Mon hypothèse, certes pessimiste : parce qu'elles n'ont pas confiance dans le résultat d'un débat idéologique. Parce qu'elles doutent de leurs propres idées. Parce qu'elles craignent qu'au fond, beaucoup de gens ne soient d'accord avec la vision du monde nationaliste du FN.

Bon, pour les secondes qui viennent, rassurez-vous, visiteuses et visiteurs antinazis, antifascistes et antinationalistes : vous êtes sur un blog sans frontière. D'idéologie démocrate. Et fier d'être d'une Argenteuil où il fait bon vivre, construite, depuis des siècles, par les voyages et les passages.

Soyons fiers de ce que nous proposons au pays ! Ne nous dégradons pas nous-mêmes en insultant nos adversaires. Battons-les sur le terrain de la réalité, celui de la politique.


Un de ces amis-Facebook, par ailleurs syndicaliste éminent, explique le vote FN par de la "colère", comme d'ailleurs Emmanuel Macron le fait.

Je doute fort que le vote FN se limite à, ou s'explique par, de la "colère".

Je le comprends plutôt comme une appréciation, étayée et rodée avec le temps, d'employeurs (quelques millions de citoyens) sur certains de leurs employés (la classe politique), appréciation de type "incompétence, faiblesse, trahison au profit d'intérêts étrangers, acceptation d'une corruption généralisée". Appréciation qui les conduit à licencier ces employés. Et à les remplacer, faute de pouvoir laisser le poste vacant (voter blanc), par le candidat qui partage le plus explicitement ces mêmes appréciations…

… même si le FN partage aussi les défauts incriminés ! voire, les présente en pire !

Combien de fois la classe politique, après le passage du vent du boulet FN (2002, 2005, 2015…), a-t-elle prétendu qu'elle avait entendu le message ?

Et quelles conséquences concrètes en a-t-elle tiré ?

  • Le TCE a été, en substance, validé quand même — François Bayrou s'en indigne vivement dans son dernier livre,
  • la technocratie prolifère (lois Maptam, NOTRe…),
  • toujours pas de proportionnelle malgré les promesses,
  • les paradis fiscaux proclamés "finis" (par un homme qui avait tiré une bonne partie de ses revenus de l'optimisation fiscale !) prospèrent plus que jamais,
  • les privilèges de la classe politique n'ont été rognés que de façon infinitésimale — et l'affaire Fillon montre les circuits financiers qui perduraient,
  • même les micro-innovations "démocratiques" (référendum d'origine populaire ou doit de pétition) ont été sciemment dénoyautées pour être inopérantes…

Les électeurs ont de solides raisons de penser que la classe politique se moque d'eux. Or, on ne peut pas se moquer de tout le monde tout le temps.

Et Emmanuel Macron promet, sauf erreur de ma part, encore plus de la même chose.