Un blogueur aussi éminent que L'Hérétique vient à la rescousse de la BNP : "Le pôle BFI a justement réalisé d'excellents résultats pour les deux premiers semestres 2009, tirant littéralement les résultats de la BNP vers le haut. Cela me semble le minimum qu'une entreprise privée récompense ses salariés qui ont fait du bon boulot, non ?"
Il y a dans cette argumentation un degré d'aberration que l'auteur ne semble pas percevoir. Le faux-ami qu'est le "salarié qui a fait du bon boulot et mérite donc d'être récompensé" est confondu avec le trader à qui des vents porteurs pour la stratégie de son établissement, et la solide connection de celui-ci avec le pouvoir politique, ont permis de voir rentrer des milliards d'euros dans les caisses...
L'Hérétique - et avec lui Jean-Claude Trichet ! - semblent avoir oublié l'opposition radicale entre la norme qu'est, pour les traders, la rémunération variable, et les principes du salariat, comme l'expliquait il y a des mois déjà Charles de Courson :
"Les traders étaient rémunérés dans des conditions telles que quand ils perdaient, ils n'avaient pas de chute de leur rémunération, mais quand ils gagnaient, ils avaient de colossaux bonus..."
Aberrant, non ?
Essayons de convaincre L'Hérétique avec un exemple simple, avec un monde limité à 2 années et 2 banques. La valeur globale des actifs est supposée stable (ni boom ni crash), le jeu est à somme nulle.
Année 1 : les flux d'échanges sur les marchés ont été de 10000 milliards d'euros. L'activité de marchés de la banque A a dégagé un profit de 10 milliards, celle de la banque B une perte de 10 milliards.
Les traders de A sont rémunérés 10 millions de fixe + 1 milliard de primes (bien modestes ! 10% seulement du profit dégagé !), ceux de B 10 millions de fixe.
Année 2 : les flux d'échanges sur les marchés ont été de 10000 milliards d'euros. L'activité de marchés de la banque A a dégagé une perte de 10 milliards, celle de la banque B un profit de 10 milliards.
Les traders de A sont rémunérés 10 millions de fixe, ceux de B 10 millions de fixe + 1 milliard de prime.
Total des deux années : 20000 milliards de flux, bilan 0 pour chacune des deux banques, rémunération totale des traders : 40 millions de fixe + 2 milliards de primes.
Des règles du jeu avec lesquelles ce genre de choses est possible, sont selon moi (!) anti-économiques, anti-sociales, aberrantes et scandaleuses.
Des règles du jeu dans lesquels des bonus élevés seraient exclus de toute relation salariale, me sembleraient bien plus pro-économiques, pro-sociales, logiques et justes[1].
"Que se passerait-il si aucun bonus n'était versé aux traders de la banque? Verrait-on vraiment les salles de marché se vider d'un coup? Cela serait franchement étonnant... " Nicolas Cori.
PS 1er octobre 2009. En écoutant Envoyé Spécial, reportage sur les traders. "Ils touchent entre 20 et 40% des gains". Et moi qui ai mis 10% dans mon exemple ! "On a été obligé de lui garantir 500000 euros de bonus". Un variable fixe ! Trop beau !
Merci. Il y avait encore d'autres arguments contre son tissu d'inepties mais cette démonstration est très efficace. J'ose espérer qu'il ne s'agit pas de l'auteur principal du blog...
Dans l'absolu, je suis d'accord sur un point = les gains sont colossaux, et sans doute sans commune mesure avec le travail réalisé, et en opposition avec l'idée démocrate d'un partage équitable entre les hommes.
Dans la pratique, un trader a une carrière courte, du fait de ses conditions de travail difficiles. BNP Paribas a distribué des primes à la quasi totalité de ses collaborateurs, les traders ne représentant qu'une petite partie d'entre eux.
C'est comme ça que fonctionne le principe de participation aux bénéfices, y compris dans les banques.
Le rémunération au mérite est globalement une bonne chose, car elle tire les performances individuelles vers le haut, au bénéfice évident de l'entrepreneur, le banquier en l'occurrence.
Enfin, si l'exemple donné est implacable, la réalité diffère un peu. Les banques ne passent pas leur à échanger, année après année, les résultats d'une activité linéaire, dans un monde sans aléas.
En fait dans cet exemple l'existence de deux banques ne se justifie pas. Une seule serait suffisante et en l'absence de concurrence, elle n'aurait aucun intérêt à rémunérer son trader, qui serait au smic.
On est pas très loin de la banque d'état communiste.
Une banque sert aussi à financer l'économie entière. Pour cela il est nécessaire d'avoir plusieurs établissements qui investiront dans le développement selon des intérêts différents. Favorisant tel ou tel secteur de l'économie, tel ou tel concurrent sur un marché.
Les intérêts qui sont en jeu justifient la nécessité pour une banque de tenter d'être la meilleure.
Après on peut critiquer l'ensemble du modèle capitaliste. Mais c'est celui de la société dans laquelle nous vivons.
Je reste donc de l'avis de l'Hérétique, globalement. Mais je vous l'accorde, une répartition des ressources plus équitable conduirait inévitablement à un monde meilleur.
@ philippe de Montrouge : il me semble que votre argumentation est exactement celle de L'Hérétique, alors elle me donne l'occasion de préciser.
Bien sûr qu'il est légitime de mieux payer les salariés qui travaillent bien, et de les intéresser aux bénéfices, qui témoignent de la valeur qu'ils ont produite. Le débat n'est pas là !
Le débat est de savoir si les profits annuels enregistrés *dans une activité de marché financier* (trading), sont un bon indicateur de la valeur produite. La réponse est : évidemment pas. Les profits et pertes enregistrés par les acteurs de tels marchés ont une somme à peu près nulle par définition (ce pourquoi mon exemple a besoin de deux banques !). En fait, la somme est légèrement positive et exprime, sur le très long terme (après x cycles de booms et krachs), la valeur effectivement produite par le trading, ce qu'il apporte à l'ensemble de l'économie. C'est sur cette valeur de très long terme qu'il faudrait, en principe, rémunérer les traders ...
Vous pouvez répondre : les profits annuels mesurent au moins, si les comptes sont fiables, ce que le trader a fait gagner à sa banque. Dans une logique libérale, il est légitime de le payer sur cette base. Je réponds : dans une logique libérale oui, à condition qu'il soit également mis à contribution pour une même proportion des pertes, en cas de pertes. Dans ce cas le marché est honnête.
Je suis donc entièrement favorable à de très fortes rémunérations variables, à conditions qu'elles se situent dans un rapport d'entreprise à entreprise, non dans un rapport de salarié à employeur.
Pour moi, les primes ou intéressements dans le cadre d'un contrat de travail (salarial) devraient être plafonnées, par exemple en fonction du "plafond séc soc" ou du SMIC ; par exemple à 10 SMIC. Ce qui va au-delà devrait s'inscrire dans un rapport contractuel assorti d'une responsabilité partagée, sur le long terme, quant aux profits et aux pertes.
J'ai bien compris ton raisonnement, Fred, mais il s'agit d'une banque privée. Elle gère son argent comme elle l'entend. Et puis surtout, il faut des lois internationales si l'on veut encadrer ces rémunérations. Ce serait une imbécilité sans nom que de tenter de le faire au seul niveau national ou même européen.
Concernant la BNP, elle a toujours respecté un certain nombre de règles prudentielles et je trouve donc mal venu de lui jeter la pierre.
J'ajoute que <i> «confondu pour le trader à qui des vents porteurs pour la stratégie de son établissement, et la solide connexion de celui-ci avec le pouvoir politique, ont permis de voir rentrer des milliards d'euros dans les caisses»</i>, c'est du NPA dans le texte ou quoi ? qu'est-ce qui te permet d'affirmer qu'il y a des connexions avec le pouvoir politique et qu'elles permettent de tels profits ? Cela n'a aucun sens tant les prises de position sur des titres ou des options touchent des produits financiers de toutes origines.
Oups, L'Hérétique, lis-tu les journaux ??? Même ceux de droite classique racontent le rôle joué par la BNP dans les décisions prises à l'Elysée en faveur des banques en général et de la BNP en particulier - bien plus favorables que les conditions obtenues par les banques des autres pays auprès de leurs gouvernements.
Pour conclure (un peu), je reconnais à une entreprise privée le droit de gérer son argent absolument comme elle le veut. A 100%. Mais à ce moment là, ses actionnaires doivent être à 100% responsables de tous ses engagements. Ce qui n'est aucunement le cas des banques.
Quand tu écris qu'une banque privée "gère son argent comme elle l'entend" : sais-tu ce qu'est une banque et ce qu'est son argent ? Une banque n'est pas une entreprise ordinaire. Son argent, elle l'estime, elle l'emprunte, elle le crée. La garantie de ses engagements, dans les faits (la crise l'a prouvé), c'est nous, c'est l'Etat.
Une banque peut certes être mieux gérée qu'une autre - et la BNP a effectivement eu une gestion plus prudente que, par exemple, la Société générale. Mais les soldes annuels d'activité d'achat-revente (trading) me semblent donner une estimation très peu fiable de la qualité durable de la gestion de la banque.
Franchement, je te recommande la lecture de gens du "NPA" comme Jean Peyrelevade ou Charles de Courson. Il faut arrêter de crier au communisme dès que quelqu'un réclame le respect des règles de base du libéralisme.
@FLN,
Un des thèmes abordés concerne la BNP, aussi un petit flash back sur l'année passée me paraitrait avisé, celui concernant par exemple l'achat de Dexia, pour quel motif à votre avis?
Bonne journée
Dexia était la banque de nombreuses de nos collectivités territoriales me semble-t-il, et elle n'était pas "top forme".
Merci des liens
@+
D'abord, l'Etat français est rentré dans le capital des banques françaises non pas pour les aider mais pour les contraindre à remonter leurs encours de crédit. Les banques payent un taux d'intérêt proche de 8 %, sans parler de la plus-value...en "mark to market" de l'Etat français qui a doublé sa mise. Je ne vois pas au nom de quoi ce même Etat français a la moindre légitimité pour faire la morale à des entrewprises saines qui ont traversé la crise en maintenant des résultats positifs et en conservant leurs effectifs.
Ensuite, la concurrence est mondiale. Sur les 11 premières banques, 5 sont chinoises, une est brésilienne...et une est française : pourquoi la stigamtiser plutôt que d'encourager un tel fleuron national ? Lorsque'une banque réalise de solides bénéfices récurrents sur son activité d'investissement, comme c'est le cas pour les grandes banques françaises, elle peut développer plus facilement son activité bancaire de prêts aux entreprises et aux particuliers grâce à cette diversification du risque.
Enfin, les traders plus plus brillants, ceux qui touchent des bonus vraiment colossaux en millions d'euros, sont aussi courtisés par les hedge funds et d'autres institutions qui payent bien mieux. La tentation socialiste d'encadrer la rémunération de la performance risque surtout d'aboutir à de nouvelles distorsions, à un déplacement de l'innovation et de la création de valeur.
La véritable question est la suivante : les Etats devaient-ils aider leurs banques nationales plutôt que de laisser les créanciers convertir leurs titres en actions pour renflouer leurs fonds propres en toute légitimité ? L'action de "soutien" consiste manifestement à dominer ces institutions financières pour leur imposer des règles aussi électoralistes qu'économiquement absurde. Vengeance du politique sur une mondialisation qui lui échappe.
@ Aurelien : merci pour votre commentaire très courtois, mais permettez-moi de penser que ce type d'assertions passait il y a 2 ans à la rigueur, dans l'ignorance générale ... mais ne passe plus.
Dire que 8% pour des entreprises à la rue c'est cher, c'est un gag. J'entendais l'an dernier un patron de très grande entreprise se réjouir d'avoir obtenu, dans une période de grave crise, des crédits à 25%. Sauf erreur de ma part, le très pro-banques Gordon Brown n'a pas accordé des conditions aussi favorables que l'Elysée, loin s'en faut.
Dire que, parce qu'une banque est grosse, c'est un "fleuron", c'est une blague à faire plier de rire tous les créanciers de Lehman Brothers. La taille ne prouve rien.
Prétendre que l'activité d'investissement permet de financer la banque aux particuliers, alors que celle-ci est surbénéficiaire en France grâce à un fonctionnement oligopolistique, à la mécanique des "conventions" et aux taux d'intérêt faramineux qu'elles permettent ... c'est au-delà du gag.
Confondre le trading, dont parle mon billet, avec une "activité d'investissement", c'est confondre le métier de courtier en grains avec celui d'agriculteur. Il y a une différence.
Enfin l'argument récurrent "on le fait parce que les autres le font donc on est bien obligés" est exactement la mécanique infernale (pyramidale) qui a produit la crise financière.
Votre dernier paragraphe est intéressant, et situe parfaitement la crise : quand le capital d'une banque est inférieur à ses pertes, que peut-on bien proposer aux créanciers ? Dans de telles situations, la valeur de la banque est simplement constituée par la confiance que l'on accorde à la garantie de l'Etat qui veut sauver sa banque nationale. Parce que cette banque garde une valeur pour lui, celle d'un service public à sa population http://demsf.free.fr/index.php?post...
Hop, je publie ici ce que j'ai écrit chez gauche de combat :
Il pèche par un travers principal : Fred fait comme si toute crise boursière était le fait des traders. C’est faux ! les causes en sont bien plus complexes. ce ne sont pas les traders qui génèrent des crises de confiance sur les marchés. or, son exemple de trader A et trader B s’appuie sur le principe d’une rémunération au mérite. La qualité d’un trader c’est d’optimiser les profits et minimiser les pertes. Si en temps de baisse, le trader a réussi à minimiser les pertes de la banque, il a largement rempli ses objectifs et a fait gagner de l’argent à la banque.
Le raisonnement de Fred ne tient donc pas.
Ensuite, je parlais de la BNP, pas forcément des banques en général.
Plus généralement, j’ai une divergence de fond avec Fred : les très gros écarts de salaire le choquent. Pas moi. Moi, ce qui me choque, c’est qu’il y ait des entraves à la possibilité de s’enrichir dans un pays. Quand je parle d’entraves, je pense aux entraves invisibles. En France, si on n’est pas né dans un réseau, on est fichu. Il n’y a pas d’équité.
Pour en revenir aux très gros salaires, il faut, en tout cas, au moins une règle qui soit négociée au niveau de l’OMC. Au niveau national, cela n’amènera qu’à servir la concurrence ailleurs…
Hello Hérétique ! Puisque tu re-colles ici, je me permets de regretter qu'au lieu de répondre à mes arguments, tu me prêtes des théories et opinions délirantes.
"Fred fait comme si toute crise boursière était le fait des traders." ?????? Je ne crois pas leur avoir attribué grande responsabilité dans la crise. Ou alors, dans quel billet ????
"Fred : les très gros écarts de salaire le choquent." ?????? Je crois avoir dit tout le bien que je pensais des dizaines de millions de dollars du salaire de Steve Jobs. Je suis aussi pour le Loto et Euromillions. Donc certainement pas contre les gains liés à la chance. Du moment que 1) il y a solidarité entre les gagnants de la chance et les perdants (par l'impôt) ; et surtout 2) la responsabilité de payer le revenu en question est assumée par ceux qui en décident. Ce qui n'est nullement le cas dans le système bancaire qui, par fonctionnement collectif (parfaitement analysé par Jean Peyrelevade), se rémunère avec une inflation des actifs (fait augmenter la valeur des actifs de façon à en prélever une fraction en liquide) jusqu'au krach où on demande aux Etats, ou aux citoyens (dévaluation) de régler l'ardoise. Comme on dirait en anglais "Regulation is no option" - c'est une nécessité vitale pour l'économie mondialisée.
PS - concernant les traders A et B, puisque tu leur attribues tant de mérite, comment expliques-tu qu'ils touchent chacun 1 milliard en 2 ans pour avoir simplement maintenu la valeur de leur portefeuille, dans un environnement globalement neutre (ni haussier ni baissier) ?
Or c'est le système actuel. Ô miracle ! ça va changer. Le NPA et LO étant au pouvoir, les bonus des traders deviennent des bonus-malus. Exactement ce que demandait Charles de Courson depuis un bail. Eh bien, 1) bravo sur le principe, 2) à condition que ce soit pour de vrai ! c'est-à-dire des malus égaux aux bonus, et une responsabilité durable ! (pas moyen de quitter son employeur après avoir empoché le bonus, pour ne pas risquer le malus !). Oups : seule la perception de "l'intégralité" du bonus semble concernée, on en reste à cette histoire de 3 ans déjà avancée par la BNP (alors que la durée des cycles pyramidaux que nous constatons est plutôt de l'ordre de 10 ans). Caramba ! encore raté !
Je suis très surpris que tout le monde accepte gentiment l'hypothèse de base de l'exemple pris dans le billet, à savoir que la somme des gains et pertes de l'ensemble des banques intervenant sur la marché est nulle
D'où sort cette hypothèse saugrenue?
Si la somme des activités de trading des banques dégage en général du profit, et un profit élevé, c'est qu'elle a une utilité dans le système que les autres acteurs payent. La première utilité est d'assurer la liquidité du marché (quand je veux vendre, je trouve quelqu'un qui achète). La seconde d'offrir une couverture aux risques business (par exemple quand Airbus vend à un prix fixé aujourd'hui en euros un avion qu'il va fabriquer dans 5 ans essentiellement en euros et en livres)
@ Verel : merci C'était déjà un peu le sens du comm #2, et d'un commentaire sur la version facebook de ce billet. Je pense faire un billet spécial là-dessus.
Ceci dit je ne prétends pas réellement que la somme est nulle ; je montre juste par l'exemple que dans le système actuelle, SI l'activité est à somme nulle, ALORS les traders, collectivement, encaissent un maximum, ce qui est absurde.