Après Libé, voilà Le Monde qui, dans un éditorial non signé ! robinette la même pensée unique, si évidemment contraire aux faits. Aider la Grèce, ce serait si simple et si bon marché, un petit chèque et revenons à nos moutons. C'est titré "l'Europe à quitte ou double".

Alors vite, un blog sert à ça, faisons œuvre de salubrité publique … et rappelons quelques vérités qui semblent déranger :

1) Ce ne sont pas "les marchés" ou "les agences de notation" qui sont responsables des taux très élevés auxquels la Grèce, ou d’autres, devraient emprunter. Les agences de notation sont responsables, par leurs notations absurdement favorables depuis des années, des taux très bas auxquels la Grèce ou la France empruntaient jusqu’ici (et tant mieux pour notre État). Elles ont entretenu un jeu de dupes permettant aux États irresponsables de se refinancer sans payer, aux épargnants qui leur prêtaient, la prime de risque qui aurait été bien méritée.

2) Les réticences de « l’Europe » ou de « l’Allemagne » à prêter à un État en quasi-faillite, n’ont rien d’absurdes. Il semble évident que la Grèce ne pourra pas dégager les ressources fiscales lui permettant de rembourser – même sur 10 ou 20 ans. Elle devra « restructurer sa dette », c’est-à-dire négocier avec ses créanciers, comme nous (banques et, à travers eux) épargnants français, pour que nous fassions une croix sur la moitié ou les deux tiers de ce qu’elle nous doit. Tant qu’à faire, mieux vaut tout de suite que dans six mois. Ce que nous lui prêterions maintenant part dans un tonneau des Danaïdes.

3) Pour notre prêt déjà annoncé à la Grèce, un taux de 5% (qui nous laisserait une marge brute de 2%) n’a rien de scandaleux, contrairement à ce que prétend le Parti socialiste. Parce que nous prenons un sérieux risque de non-remboursement, certes ; et surtout, parce qu’en augmentant de 4 milliards notre dette brute, en échange d’une créance aussi risquée, la France détériore son propre crédit et devra dès maintenant emprunter plus cher sur les marchés, pour toute sa dette. Quoi que dise M. Baroin selon qui la "note" de la France n'est pas menacée.

4) La Grèce n’est pas un cas isolé. C’est au contraire un cas de référence, par le fait qu’elle a dissimulé son déficit et sa dette. Si l’Europe se cotise pour passer l’éponge sur la dette grecque, elle devrait évidemment aussi se cotiser pour passer l’éponge sur la dette de pays qui n’ont pas dissimulé (ou moins dissimulé) leur dette, comme le Portugal, l’Espagne, l’Italie ou la France. Et elle n’en aura pas les moyens.

5) Il ne s’agit donc pas d’égoïsmes nationaux, contrairement à ce que prétend le Monde. Il s’agit, ou il devrait s’agir, d’une prise de conscience, dans tous les pays concernés dont la France, que la dette nationale n’est plus soutenable, et demande donc des mesures radicales. Et pas une cavalerie à quelques semaines.

6) Accessoirement, quand on lit (toujours dans l'éditorial du Monde) "la Grèce n'avait besoin que de 30 milliards d'euros" comme si c'était une paille, rappelons que ça fait le double des recettes de privatisation des autoroutes (qui étaient paraît-il si nécessaires pour réduire notre dette…), ou 1,5 fois le montant total de l'impôt sur les sociétés.


D’avance, les réponses à quelques objections possibles …

a) « C’est donc que l’euro était une erreur ! Il faut en sortir ! »

Pas du tout[1]. C’est notre dette qui nous coule, ce n’est pas l’euro. En francs, notre dette aurait pesé aussi lourd. Un peu plus sans doute (encore et toujours la prime de risque).

Si nous nous coulons les uns les autres, si l’euro nous rend plus solidaires (ça, c’est vrai), ce n’est pas exactement l’euro qui est le problème : c’est le pacte d’instabilité. La mauvaise rédaction, la non-application et le manque de démocratie dans les fameux « critères de Maastricht ». Il faut transformer ce pacte d’instabilité en un traité instituant un gouvernement macro-économique commun.

b) « Mais l’euro, donc l’économie de la zone euro, vont s’effondrer ! »

Pas du tout. Ce qui les ferait s’effondrer, c’est de tergiverser. S’il est certain que l’opération est nécessaire et que la maladie se développe à grande vitesse, plus rapide est l’opération, plus on peut avoir confiance en la guérison.

c) « Mais si un État se reconnaît en faillite, le crédit des autres États européens en difficulté va s’effondrer ! »

Certes. Il faut donc déposer le bilan ensemble – pour ceux qui sont en mauvaise santé.

d) « Ça va nous coûter très cher ! »

Oui, ça va nous coûter très cher[2]. D’abord aux riches, qui ont prêté à l’État (français ou grec) et ne verront pas le remboursement de leur créance, ou seulement une partie. Aussi aux pauvres et à tout le monde, car notre État flambeur devra se reconnaître pauvre. Enfin – plus pauvre qu’il ne feignait de l’être, d’avions de prestige en douches présidentielles.

Ceci dit, ça ne nous coûtera que de l’argent déjà dépensé. Une dette, c’est de l’argent qu’on a emprunté, depuis trente ans. A chacun de voir s’il a été bien employé. Ce qui a été bien employé, en investissements durables, ma foi, nous continuerons à en profiter. Ce qui a été dilapidé en modernisations de missiles nucléaires … ma foi … nous continuons à le payer.

e) « Vous êtes irresponsable de tenir un discours pareil ! »

Là, je vous donne raison sur un point. Si j’avais la moindre influence ou le moindre poids politique, je devrais faire attention à mes propos, histoire de ne pas affaiblir l’euro (eh oui !) ni renchérir notre dette.

Mais entre blogueurs non-influents, pourquoi se raconter des salades ? Après tout, des gens qui ont l’air de connaître le sujet mettent les pieds dans le plat aussi.

"La contagion est déjà en marche", a affirmé Angel Gurria, secrétaire général de l'OCDE, visiblement adepte d'une solution radicale: "C'est comme le virus Ebola. Lorsque vous réalisez que vous en souffrez, il ne vous reste plus qu'à vous couper une jambe".

Maintenant ? ou on attend encore un peu ?

Camarades UMPS, joueurs de casino de l'Élysée, homologues européens surendettés, vous choisissez quoi : Quitte, ou double ?

Notes

[1] Cf. mon billet du 23.

[2] Combien ? Cf. encore mon billet du 23.