À la République des blogs ce soir, il y avait Denys, Quitterie, Olympe, bahbycc, Mip, Hervé, Francesco, Authueil, Christophe Grébert de nouveau, et plein d’autres gens sympathiques dont Pierre Catalan, qui avec d’autres, interviewait l’eurodéputé et porte-parole du PS, Benoît Hamon.

Je me suis senti tout à fait hamoniste pendant plusieurs minutes, et très peu ensuite. Devinez quand ça a bloqué.

Benoît Hamon[1] : "Nous, le PS, on va aller bien au-delà du Manifeste des socialistes européens sur la convergence sociale, l’harmonisation fiscale. Je suis favorable aux restrictions au libre-échange aux frontières de l’Europe. Mais le protectionnisme existe déjà, à travers le dumping fiscal et social, à l’intérieur même de l’Europe. C’est comme ça qu’on attire les entreprises du voisin. Si on ne va pas vers la convergence sociale et fiscale, l’Europe sera de moins en moins utile aux Français.

Le rejet de la construction européenne ne faiblit pas. L’Europe a-t-elle plus ou moins libéralisé depuis le début de mon mandat ? Oui. Est-elle plus sociale ? Non. Il existe, dans les traités, des moyens d’agir. La politique de change - le traité le prévoit - se définit en lien entre le Conseil et la Banque centrale européenne : les politiques peuvent donner leur avis.

La seule vertu de la crise, c’est qu’elle a montré qu’on pouvait s’asseoir sur les traités ! Moi qui était pour le « non » au TCE, moi qui craignais que ça n’enferme les politiques européennes dans des dogmes, j’avais peut-être été excessif ! Ce qui était le seul instrument économique, le Pacte de stabilité et de croissance, on l’a suspendu ! La plupart des pays de la zone euro seront en « déficit excessif » d’ici un an : on était bien obligés de suspendre.

Mais sur l’harmonisation fiscale, zéro progrès en un an (sauf une harmonisation de l’assiette de l’impôt sur les sociétés, un truc un peu marginal). La fraude fiscale européenne, c’est 200 milliards par an.

Il y a un gros sujet : la levée du secret bancaire en Belgique, en Autriche et évidemment au Luxembourg, et là on est dans le dur… c’est extrêmement difficile, même en contexte de crise, de faire avancer les États-membres là-dessus.

L’harmonisation fiscale, il y a urgence. Est-ce possible à 27 ? Ça me paraît une perspective … éloignée.

Nous sommes confrontés à une vraie difficulté politique, celle des groupes européens dont le marché est en Europe, et qui ont délocalisé leur production hors Europe. Il faut contribuer à relocaliser une partie de la production en Europe. Quand on parle à Nike de réindexer une partie de la production sur les marchés, ils ne sont pas fous de joie, mais ils relocaliseront une partie de leur activité. On ne peut pas avoir face à ces groupes mondiaux un discours totalement fataliste, « vous produisez ailleurs mais c’est ainsi que va la mondialisation ». Le tarif extérieur commun doit contribuer à la relocalisation de l’activité.

La stratégie de Lisbonne « investir en Europe dans l’intelligence, là-bas ils font des jouets », c’est arrogant ! Nos ordinateurs, où sont-ils construits ? Nous ne pouvons pas nous spécialiser « dans l’intelligence » et abandonner l’outil industriel, c’est une erreur grave. Il faut des clauses de sauvegarde sociale. Obama, il protège les intérêts des travailleurs américains. Ce qui m’intéresse, ce sont les ouvriers européens. Nous devons rendre les échanges commerciaux tributaires, a minima, des règles de l’OIT. Ce sera un outil pour élever les standards, sans ça, je ne vois pas où est la prétendue mission civilisatrice de l’Europe.

(Question : et si on dit cela aux autres partis sociaux-démocrates, comme aux Allemands ?)

BH : Ça leur « met des boutons », ils ont fondé leur croissance sur l’exportation. En même temps, la réalité des exportations allemandes, c’est qu’elles profitent beaucoup du marché intérieur, sur des secteurs peu concurrentiels, comme les machines-outils, où ils n’ont pas de pays qui les concurrencent sérieusement. En même temps, on a imposé des quotas à la Chine à une époque, tout ça se négocie. Qu’on ne vienne pas dire à la France de s’aligner sur le modèle de croissance du voisin.

(Question : comment le PSE va-t-il imposer ses vues au Parlement européen face au PPE, au Conseil et à la Commission ?)

(Pierre Catalan : le PSE est plus en harmonie que le PPE ; mais le Parlement vit sur le consensus PPE-PSE, qui s’entendent très bien entre pro-européens, et laissent les conservateurs de droite comme de gauche en marge. Votre candidat pour la présidence de la Commission, c’est Barroso ?)

BH : Je suis totalement contre Barroso. Comme avocat de l’Europe et de la construction européenne, on aurait pu rêver mieux ! La remise en cause du modèle social européen lui doit beaucoup.

Nous sommes en faveur de Poul Nyrup Rasmussen et faisons un lobbying intense pour qu’il soit candidat à la présidence de la Commission. Les archaïques sont ceux qui font campagne sur « pro et anti-européens ». Le débat, c’est entre gauche et droite européennes.

Si on veut que la construction européenne ait un sens, il faut qu’on puisse dire « libéraliser ou modèle social », un bon vieux gauche-droite, avec au milieu les amis de Quitterie Delmas, les centristes quoi.

(Q. PPE et PSE se sont déjà entendu pour se partager les rôles, vous pouvez le confirmer ?)

Je ne confirme pas. La culture du compromis politique ne doit pas s’abstenir de faire vivre le clivage droite-gauche ; mon rôle, je le conçois comme acteur de ce clivage."


J’ose à peine commenter.

Comment un leader politique de premier plan peut-il, partant d’affirmations de bon sens et de grands poids, conformes à l’intérêt général, s’écraser sur la glorification de la politique politicienne et y voir le « sens de la construction européenne » ? Insondable abîme de la pensée socialiste.

Comment peut-il sortir, à la République des blogs (tout de même !) une ficelle aussi grosse, format corde à nœuds, que d’assimiler protectionnisme pour faire revenir nos usines, et « mission civilisatrice » de l’Europe ? Apesanteur irréelle de la dialectique[2].

Je n’ai pas certes la moindre envie d’être un moyen terme entre PPE et PSE, entre M. Hamon et M. Barroso. Pour moi, ils sont coresponsables du désastre économique mondial en général, et du ridicule actuel de l’Europe politique en particulier.

Les archaïques, pour moi, sont ceux qui associent, qu’ils soient pour ou contre, « harmonisation fiscale et sociale » (construction d’un espace commun de droit et de service public) et protectionnisme autarcique gosplanien, « indexer la production sur les marchés ».

La seule chance de l’Europe dans le monde d’aujourd’hui, c’est d’être unie et solidaire, pour défendre le droit, le commerce libre et juste, dans un monde dont les règles semblent devenir, depuis trente ans, celles de la pwofitasyon.


(Ajout 26 février) : j'oubliais de le préciser, je suis parti bien avant la fin. Sur la suite de l'intervention de Benoît Hamon et du débat, voir Hervé Torchet, Pierre Catalan et al.

Notes

[1] Selon mes notes au vol, partielles et sans garantie de fidélité d’aucune sorte

[2] Irréelle, en quoi, demanderez-vous peut-être ? verel a bien voulu rebondir en un excellent billet. (Ajout, 28 février 2009)