L'inertie solidaire de la classe dirigeante, quelques Harlem Désir et Laurent Wauquiez mis à part, ne doit pas faire oublier la différence de fond entre sarkozysme au pouvoir, et promotion-voltairisme au sommet de l'État.

Il ne s'agit pas d'une opposition droite-gauche.

Le villepinisme, et avant lui le raffarinisme, étaient d'exacts jumeaux de l'impuissance blasée que semble déployer le PS au pouvoir : nous savons bien ce qu'il faudrait faire, nous plaisantons le sourire aux lèvres sur les paralysies de notre vieux pays, et nous y cédons, parce que, que voulez-vous ! c'est ainsi que ça se passe.

C'est ce que j'appelle l'aimable cynisme des énarques, mais peut-être est-ce un mauvais nom, une jalousie de non-énarque ? Après tout Jérôme Cahuzac n'est pas énarque, qui dénonçait d'une plume si avisée les conflits d'intérêts entre médecins, laboratoires et pouvoirs publics[1]. Et voyez son fatalisme final :

Le poids médiatique de l’industrie pharmaceutique, qui se présente comme préoccupée seulement des patients, de leur bonheur et de leur bien-être, est sans commune mesure avec celui de l’État ou des pouvoirs publics, qui sont perçus comme préoccupés seulement des aspects budgétaires. Il ne faut pas être grand clerc pour deviner qui a gagné, gagne et gagnera[2] ce type de bataille d’opinion.

Bruno Le Maire, quand il raconte l'invention du CPE dans "Des hommes d'État", raconte la même histoire : nous savons comment réduire le chômage, mais il y aurait trop de résistances d'acteurs en place, alors cherchons ce qu'on peut faire sans ulcérer personne : retouchons le droit du travail pour les PME et les jeunes.[3] Résultat ? comme prévu, ça n'a servi à rien ; et contrairement aux prévisions, ça a ulcéré tant de monde que les chances présidentielles de Villepin en ont été coulées.

Nous avons donc eu en 2007 Nicolas Sarkozy, avec le cynisme inverse ; non plus la finesse lasse des connaisseurs blasés, mais les lâchers de pétards de l'agent provocateur, lançant offensive verbale sur offensive gestuelle contre des ennemis imaginaires ![4] Avec le même résultat au final : l'attention du public détournée, la faillite programmée, les grands intérêts en place confortés dans leur entreprise de vente du pays à la découpe.

Le nyakafokon sarkozyste et le onypeurien énarchique sont les deux faces d'une même impuissance, celle d'un service public délaissé par le public.

Si les gens veillent, nous avons une bonne administration et le pays est bien dirigé. Si notre démocratie devient paresseuse, si notre civisme se contente de raccourcis, ça donne de mauvaises politiques, une mauvaise administration.

Si les gens qui gouvernent ne sont redevables qu’envers les intérêts particuliers qui financent leurs campagnes, bien sûr qu’ils dépenseront vos impôts sans le moindre souci ; bien sûr qu’ils introduiront dans les projets de loi (les dispositions chères à ces intérêts) et nous plongeront dans le déficit - en espérant que personne ne s’en rende compte.

Je crois qu’il y a dans le pays une grande soif de changement, et pas seulement d’un changement dans les politiques. Je crois que les gens voudraient un retour à quelque chose comme l’intérêt général, un sens de la coopération, du pragmatisme au-delà des idéologies.

C'est ce que déclarait Barack Obama (en 2005, 2006 et 2007). Qui sait ? Peut-être y a-t-il, en France aussi, bien cachée sous les votes UMP-PS de juin 2012, la même soif de changement ? Peut-être y a-t-il une réserve de vigilance, de civisme, de pragmatisme, de capacité de coopération, qui sortira la France de la crise ?

Depuis dix ans et demi, ce blog et ses prédécesseurs sont mon journal de cet espoir :-)

Notes

[1] Merci au Figaro qui a ressorti ce document

[2] C'est moi qui souligne.

[3] Ce n'est pas une citation, mais un libre résumé, bien entendu.

[4] J'avais essayé ici de comparer les différentes façons d'argumenter et de présenter les sujets — celle de François Bayrou en prime.