Nos inénarrables dirigeants ne se sont pas contentés de mettre en faillite, de dérégulation en déficits publics, quelques méga-banques et quelques États éminents, et d'en menacer quelques autres.

Leur prochaine victime est la monnaie. Vous qui avez des euros en poche, peu ou prou, c'est à vous que nos dirigeants s'en prennent.

Puisqu'il n'y a plus personne qui, ayant de l'argent, soit assez fou pour le prêter aux États ruinés[1], nos dirigeants font des pieds et des mains pour prendre cet argent là où il n'est pas : dans les comptes de la Banque Centrale.

Ils ont commencé par lui faire racheter au prix fort[2] des dizaines ou des centaines de milliards de dette publique pourrie : l'assurance pour la BCE de subir des dizaines de milliards de pertes le jour où elle devra constater combien valent réellement ces "emprunts russes".

Maintenant, comme son statut ne lui permet pas de prêter aux États (encore heureux), ils envisageraient… de passer par un prête-nom, en l'occurrence la Reine Christine[3].

J'attends les bravos et les hourras des gauchautruches et hystéronationaux réunis : enfin, on met en perce le tonneau géant de potion magique ! Enfin l'argent illimité de la Banque Centrale peut couler à flot pour abreuver nos systèmes sociaux ! On a mis à bas la tyrannie austériste de "la loi Giscard de 1973" !

C'est vrai que s'il existait un tonneau géant d'euros magiques, ça serait bien sympa.

Tiens, la droite d'affaires serait super contente : on pourrait supprimer les impôts ! C'est vrai : à quoi bon impôts et charges, s'il suffit de demander à la Banque Centrale de faire tourner la planche à billets ?

Et la gauche étatiste, tiens ! Ça lui enlèverait une sacrée épine du pied ! Plus de limite aux embauches publiques ni à la dépense sociale ! En avant pour la semaine de 3,5 heures et la retraite à 6 ans ! Et pourquoi pas ?


Ah bon ? C'est pas possible ?

Mais attendez… si c'est pas possible, c'est parce que le tonneau géant d'euros magiques n'existe pas.

Je vous assure.

S'il existait, la retraite à 6 ans serait possible, sans problème.


Mais, me direz-vous… les États-Unis font exactement ça avec le FED ! Ils impriment des dollars par milliers de milliards !

Alors pourquoi on pourrait pas, nous aussi ?

C'est vrai, ça. On peut. La preuve, on va le faire.

Alors, où est l'erreur ?


C'est extrêmement simple. Je me demande pourquoi ce billet est si long.

La Banque Centrale n'a tout simplement pas cet argent qu'on lui demande. Elle ne collecte pas d'impôts, ne vend pas de produits… elle n'a rien.

Elle a un statut de Banque Centrale, c'est-à-dire le droit de prêter de l'argent sans l'avoir emprunté avant… mais il faut tout de même qu'elle se le fasse rembourser après !!!

Sinon, elle est ruinée… et les États doivent… la renflouer, c'est-à-dire lui rembourser l'argent manquant !

Quel sens cela aurait-il, pour une Banque centrale, de prêter à des États qui ne pourront pas rembourser… et ne pourront donc pas non plus la renflouer ?

Vous avez la réponse : aucun, cela n'a aucun sens. C'est juste le dernier tour de bonneteau avant la disparition définitive des prestidigitateurs au tribunal de l'Histoire.


Soyons précis :
SI grâce au prêt de la Banque centrale, l'État est très rapidement remis en situation de prospérité, de finances viables, d'impôt abondant et de dépenses maîtrisées, si très rapidement il dégage un excédent tel que la Banque centrale est remboursée,
ALORS, ça peut avoir un sens que la Banque centrale intervienne ainsi comme service de réanimation ; qu'elle prête à l'État failli, par prête-nom interposé, l'oxygène qui le remettra d'aplomb.

On a eu le cas en France, en 1926[4], et ça a marché. Parce que Poincaré venait d'arriver à la tête du gouvernement, et que tout le monde lui faisait confiance pour redresser la barre[5].

SI ce scénario était crédible, si les États avaient un plan de restructuration et de redressement crédible, alors oui, peut-être, la BCE pourrait légitimement être appelée à la rescousse. Malgré la clause qui interdit à l'Union européenne de renflouer les États. Malgré l'encouragement à la mauvaise gestion, que cela constitue. Malgré l'indépendance statutaire de la BCE.

Mais tant que ce n'est pas le cas, tant que les États enchaînent improvisation et auto-destruction pour gagner quelques semaines, quelques jours, quelques heures, le devoir de la BCE serait de leur dire : coulez si vous voulez, mais laissez au moins aux Européens leurs euros.

Notes

[1] Ou alors si cher qu'ils en sont étranglés

[2] Apparemment. Je n'ai pas trouvé d'indications sur le prix.

[3] Via Christophe Faurie.

[4] Peu après la dissolution de notre union monétaire, l'Union latine ! Et après l'affaire des faux bilans présentés par la Banque de France pour masquer ses pertes ! Souvenirs, souvenirs…

[5] Mais pour l'anecdote, Poincaré n'était pas au courant du bonneteau joué par la Banque de France avec les banques privées pour assurer une fin de mois du Trésor.