Entendu ce matin sur France Inter des élucubrations vaseuses de Jean-Paul Betbèze[1] qui nous vantait un fédéralisme budgétaire et autre réduction toute-douce-et-coordonnée du déficit, comme unique recette de l'avenir.

Lu à répétition, d'Arnaud Montebourg, Emmanuel Todd et autres fantaisistes, des nyakafokon sur le thème : décoinçons nos banques centrales (BCE ou Banque de France, c'est la même chose), lançons-les dans la multiplication d'argent, dette et déficits disparaîtront comme des mauvais rêves, la croissance et l'emploi reviendront et ils auront beaucoup d'enfants.

Les bras m'en tombent, mais enfin, essayons encore de hausser la voix : C'EST N'IMPORTE QUOI !

UN ENFANT DE DIX ANS N'Y CROIRAIT PAS !

Autoriser quelqu'un, Banque centrale ou autre, à "imaginer de l'argent" sans limite, ça s'appelle l'hyperinflation, l'effondrement du pouvoir d'achat, et l'envolée des taux d'intérêt à payer pour tout le monde, Etats, entreprises, et particuliers.

On l'a déjà testé à de multiples reprises (les assignats étant la plus célèbre, pour l'histoire de France), et ça a toujours donné le même résultat : la débâcle financière, économique et sociale.

Ce qui brouille les choses, et permet aux fantaisistes de croire au tour de magie, c'est que le cours de la monnaie est décidé au jour le jour par les marchés, il est "flottant"[2].

Quand le cours flotte, on peut toujours espérer que, même si la Banque centrale et les Etats distribuent de l'argent sans limite (beaucoup plus d'argent, en face de toujours autant de biens et services réels)… ce qui devrait couler le pouvoir d'achat de chaque euro… eh bien, on peut toujours espérer que le cours ne coulera pas, ou pas tout de suite, simplement parce que "les marchés" continueraient, au jour le jour, à donner à l'euro une valeur élevée.

Parce que ça les arrange, parce que l'opacité sur les valeurs réelles permet à tous les acteurs de gros profits à court terme, parce que "je te tiens tu me tiens par la barbichette", ils peuvent continuer à faire semblant d'y croire ; pour l'euro demain, comme pour les subprimes hier, comme pour Madoff avant-hier.

Jusqu'au jour où le château de cartes s'effondre, où la bulle crève, où même "les marchés" doivent se rendre à la réalité : la monnaie a été tellement vidée qu'elle ne vaut plus rien.

C'est la politique suivie par le FED — non par choix politique, mais comme conséquence mécanique du blocage entre Républicains et Démocrates : les Etats-Unis financent leurs dépenses publiques américaines par une bulle spéculative.

J'aimerais que l'Europe fasse le choix exactement inverse, celui de l'équilibre budgétaire, d'une monnaie forte et solidement garantie, inspirant aux Européens et au monde entier une confiance durable dans notre économie et notre société.


C'est une vision à long terme, et c'est la seule qui tienne dans une période de crise. Pour sortir de la tempête, il ne faut pas se jeter à la mer, il faut un cap pour le bateau.

Dès lors qu'un État européen aura retrouvé l'équilibre, que sa politique économique et sociale méritera confiance, il trouvera des prêteurs, car l'argent abonde. Et s'il n'en trouve pas, la BCE pourrait bien lui prêter sans se saborder, puisqu'elle pourrait compter sur le remboursement futur[3].

Evidemment, le statut de la BCE lui interdit de prêter aux Etats ; mais ça, c'est juste l'aspect juridique… et il est actuellement contourné à coups de milliards chaque semaine.

La BCE sape donc consciencieusement, semaine après semaine, la valeur de l'euro, et nourrit semaine après semaine l'inflation. Est-ce embêtant ? Oui, rien n'est gratuit. Est-ce grave[4] ? Pas très, tant que l'euro est surévalué, que l'inflation est basse, et que ces refinancements restent limités. Est-ce que ça peut marcher ? Ça peut gagner un peu de temps, qui permettra peut-être enfin aux citoyens et dirigeants européens de changer d'époque, et de remettre leurs pays dans le sens de la marche.

S'ils cessent de confondre Banque centrale et père Noël.

Dans cette hallucination collective, où même les plus hauts dirigeants politiques croient aux bulles de savon, il y a heureusement une p'tite dame qui a connu dans la vraie vie, il y a un quart de siècle, effondrement de la monnaie et effondrement économique, qui sait de quoi elle parle, et qui sait attendre patiemment que ses collègues retombent sur terre.

Te laisse pas tordre le bras par Nicolas, Angela !

Tiens bon !

Notes

[1] Directeur des études économiques du Crédit agricole

[2] Ce n'est pas tout à fait nouveau : les assignats étaient dans le même cas par rapport à la monnaie métallique ; le Franc après la première guerre mondiale était flottant aussi.

[3] En jargon, ça se dit : la Banque centrale est l'institution qui permet de faire face aux crises de liquidité, quand tout le monde a des actifs, mais refuse de les monnayer : la Banque centrale peut transformer de la valeur de long terme en valeur de court terme, en monnaie. Par contre elle n'a aucun moyen de faire face aux crises de solvabilité : elle ne rend pas riche un débiteur surendetté.

[4] Comme semble le penser Hans-Werner Sinn.