Dimanche, le nouveau gouvernement Soro comportait un poids lourd des Finances ivoiriennes : le ministre sortant de l'Économie et des Finances, et ancien Directeur général du Trésor, Charles Diby Koffi[1]. Charles Diby Koffi était entré au gouvernement en 2005 dans la suite de Charles Konan Banny, auparavant gouverneur de la Banque Centrale des Etats d'Afrique de l'Ouest (BCEAO) ; il était certainement l'homme de confiance de Charles Konan Banny dans ce gouvernement, qui a précédé celui de Guillaume Soro.

J'imaginais que le Ministre Diby essayerait de garder le contrôle de son Ministère, malgré la maîtrise des forces armées régulières sur le quartier du Plateau (où est son Ministère) : soit via le réseau informatique du Trésor, soit par quelque autre moyen.

Amha, il n'y a qu'un Ministre qui compte dans le gouvernement d'un pays à trésorerie tendue : le Ministre des Finances ; et encore, seulement s'il a une autorité suffisante sur le Trésor[2]. Et Charles Diby Koffi avait pu faire nommer à sa place, au Trésor, son ancienne adjointe[3]. Il me semble qu'il avait, auparavant, réussi à cumuler jusqu'en 2008 fonctions gouvernementales et Direction du Trésor.

Cette nomination suffisait à expliquer que le PDCI-RDA de l'ancien président Bédié, arrivé 3ème de l'élection, tolère la reconduction de Guillaume Soro, alors qu'Alassane Ouattara s'était engagé, paraît-il, à prendre un Premier Ministre PDCI-RDA.

Mardi, le contre-gouvernement Gbagbo comprenait, aux Finances, Désiré Dallo, auparavant "directeur du port stratégique d'exportation de cacao de San Pedro". Port autonome + filière cacao = "la" caisse bien remplie, ou l'une des caisses bien remplies, de Côte d'Ivoire. Cette nomination me donnait le sentiment que, sachant que la majorité de l'économie nationale pouvait lui échapper, Laurent Gbagbo repliait son autorité sur la région la plus riche, celle où il est majoritaire et peut tenir - socialement et financièrement - en attendant que l'orage passe, et que la "communauté internationale" s'habitue au hold-up sur l'élection, comme elle s'est habituée aux généraux birmans.

J'apprends aujourd'hui que le président Ouattara avait une meilleure idée que de bloquer le réseau informatique du Trésor : passer par la BCEAO.

Alassane Ouattara a notamment demandé au gouverneur de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) qu’il « soumette à l’approbation préalable de Guillaume Soro tout mouvement interne de fonds aussi bien dans les comptes publics ouverts au nom de l’Etat ivoirien à la Bceao que dans les comptes du Trésor public ou ceux des entreprises à participation financières publiques ». Requête que la Bceao aurait accepté selon certains journaux ivoiriens, lui permettant ainsi de prendre le contrôle des comptes de la Côte d’Ivoire dans cette institution. Une information que la banque n’a pour l’instant pas confirmée. Le candidat donné vainqueur par la Commission électorale indépendante (Cei) a aussi écrit à l’Association professionnelle des banques et établissements financiers de Côte d’Ivoire afin que les mêmes dispositions soient prises à leur niveau.

Bon sang mais c'est bien sûr.

Le journaliste, Vincent Duhem, conclut :

au palais présidentiel, la réflexion doit déjà être à la stratégie capable de contrer celle de l’adversaire. Recettes des douanes, des impôts, payement des salaires de la fonction publique et de l’armée, fonctionnement des ports, c’est toute l’activité économique de la Côte d’Ivoire qui est plongée dans l’incertitude.

Là, il sous-estime Laurent Gbagbo et les siens. Je parie[4] que eux ont anticipé le coup. Ils peuvent très bien dire : pour la solde des fonctionnaires, adressez-vous à la BCEAO, puisqu'elle bloque les comptes. Salariés non payés, allez vous plaindre à l'hôtel du Golf. Et en masse, tant qu'à faire. Pour nos petites dépenses courantes, et les munitions de nos troupes, nous avons le cacao.

Et dans le camp Ouattara, ils ont déjà anticipé aussi ce coup-là[5]. Ils vont confier le sac de noeuds à la seule personne au monde, à ma connaissance, à avoir su faire fonctionner un même Trésor public, avec ses transports de fonds, dans un pays militairement et politiquement coupé en deux[6].

Bon courage à tous - à tous ceux qui, pour faire respecter la volonté du peuple, démocratiquement exprimée, choisissent les armes de la paix.


PS 11 décembre : selon cet article du quotidien ivoirien Le Patriote (pro-Ouattara), le gouvernement sortant échoue à contrôler les finances de la filière cacao, car le groupement des entreprises exportatrices (le GEPEX) refuse de lui payer les droits. Déjà hier vendredi, le président de la Chambre de Commerce, Jean-Louis Billon, déclarait à la BBC : "Dans l’incertitude, on pourrait se retrouver à ne pas exécuter nos obligations fiscales parce que nous ne savons tout simplement pas comment les exécuter."

Le rôle de la force publique n'est pas seulement de défendre l'Etat contre une invasion, de défendre la paix civile contre le désordre, ou de défendre les autorités de l'Etat contre un risque de putsch. C'est aussi de faire payer l'impôt. Et si les différentes forces armées continuent à rester les bras croisés (ne s'attaquant ni au Président sortant qui s'accroche au Plateau, ni au Président élu qui voudrait y arriver)… ce sont les importateurs et exportateurs qui vont faire de la trésorerie !

Notes

[1] Déclameurs : 1) j'ai une grande admiration personnelle pour le Ministre, même s'il m'en a fait voir quelques couleurs pendant ma brève et unique mission à Abidjan (j'aurais fait de même à sa place, si j'avais pu et su) ; 2) "poids lourd" ne sera pas jugé très subtil.

[2] Non, le Ministre de la Défense ne compte pas, car le chef d'état-major des Armées prend ses ordres directement à la Présidence.

[3] Du moins, je présume que c'était sa décision, même si la DG a certainement été nommée en Conseil des Ministres.

[4] 1 franc CFA.

[5] Je parie un franc CFA de plus là-dessus.

[6] Je vous avais déjà dit mon admiration pour le Ministre ?