Covid19, suite ! (après mon post sur les décisions que j’attendrais des autorités publiques)

En réponse à un très sympathique “twittos” pour qui “on réagit fort pour un truc qui me semble pas être la nouvelle grippe espagnole.”

“Ne semble pas” : en quoi ? La contagion n’a pu, pour l’instant, être arrêtée qu’en mettant des pays entiers à l’arrêt. Et la létalité est entre 0,5% et 1% (ou +) des personnes atteintes, ce qui représenterait dans le monde 37 à 75 millions de personnes. (P.S. : Riou et al. l’estiment à 1.6%, soit en extrapolant à la population mondiale, 120 millions de personnes. La suite du présent post était écrite avant de lire leur papier).

Chiffre au “doigt mouillé” ? (selon mon interlocuteur)

Malheureusement, la modélisation des épidémies est un exercice simple. Il n’y a, dans le modèle le plus simple, que 2 paramètres.

J’ai quasi-commencé ma carrière avec ça en 1987 (stage de recherche en fin de Polytechnique sur la propagation des ‘innovations’ dans la société, les épidémies faisant partie des ‘innovations’), et ça n’a pas changé à ma connaissance… Le sujet de la recherche était d’ailleurs : le lien entre connectivité sociale (densité des rapports entre les gens) et potentiel d’explosion de l’épidémie (avec des modèles/analogies comme la percolation et le ferromagnétisme). Tout à fait d’actualité.

Ça avait failli se prolonger par un contrat de recherche du labo (le CREA) pour modéliser l’épidémie de SIDA. La difficulté spécifique dans ce cas, c’est que la connectivité est très hétérogène (‘quelques’ personnes ont ‘beaucoup’ de contacts potentiellement infectants au VIH).

Pour le Covid-19, pas encore de signes que cette hétérogénéité aurait une grande influence[1]. Les modèles basiques à 2 paramètres (le coefficient de transmission R° — une valeur moyenne sur la société — guide la vitesse de propagation, et un taux de létalité prédit les conséquences) semblent marcher très bien :-(

Le R° du Covid19 est si élevé (multiplication par 3 à 9 chaque semaine, et plutôt 9 que 3 dans une vie sociale normale) que, a priori, l’humanité entière va être rapidement atteinte.

Le taux de létalité sur toutes les personnes touchées (à chaque infection : a priori, on peut être infecté plusieurs fois, comme pour la grippe) peut se calculer comme :

CFR (% de décès parmi les malades, ‘Case Fatality Ratio’)
X
% de malades parmi les personnes touchées

Le CFR (% de décès parmi les malades du COVID-19) est évalué autour de 2,5 à 3,5%. Il pourrait diminuer avec des mutations ultérieures, mais ça ne semble pas encore arrivé. Il pourrait diminuer, surtout, si on trouve des médicaments.

Le % de malades parmi les personnes touchées peut être évalué par des campagnes de tests aléatoires. Il n’y en a pas eu (faute de moyens et/ou de décision), mais la Corée du Sud s’en serait rapprochée, ai-je lu, avec des tests volontaires gratuits.

Le taux de létalité sud-coréen (~0,7%, très provisoire puisque >95% des malades le sont encore) suggère qu’au moins 1 personne touchée sur 4 à 5 tombe malade.

Mes calculs tout aussi simples basés sur la démographie chinoise donnent : au plus 2 sur 5.

Il y a donc peu d’incertitudes sur l’ampleur et les conséquences de l’épidémie, tant qu’aucun médicament efficace n’a été identifié / confirmé.

Le gouvernement semble l’avoir compris depuis un jour ou deux, puisque le message qu’il communique a changé.

Le gouvernement ne laisse plus entendre qu’on pourrait contenir l’épidémie ou limiter la gravité de la maladie. Il nous appelle à freiner la contagion et d’éviter, même malade, le recours à l’hôpital pour que le système hospitalier soit en mesure de réanimer les patients qui en auront besoin.

Le gouvernement ne semble pas envisager que ce freinage puisse être insuffisant et que les hôpitaux puissent être saturés. Il aurait fallu, à mon avis, une mobilisation massive avant le 20-22 mars (mon post précédent) dont je ne vois même pas les premiers signes.

On ne peut pas non plus tout demander au gouvernement. Dans la passionnante réunion publique d’hier de ma liste Argenteuil en commun, aucune des 5 intervenantes n’a prononcé le mot coronavirus. Et moi non plus. Ce n’était pas le sujet.

Pourtant, l’épidémie va changer tous les sujets. C’est comme une guerre. Ce n’est pas la fin du monde, mais c’est comme une guerre. Sans armistice possible. Nous serons “sous occupation” par Covid19 jusqu’à élaborer l’arme qui le vaincra.

Préserver les capacités d’élaborer cette arme, doit être la priorité nationale et mondiale.

publié sur Facebook pendant l’absence de ce blog. Republié ici avec des liens, le 14 août 2020

Note

[1] Voir — note postérieure au billet — les simulations de David Madore.